Comment associer les citoyens à la préparation du budget de l’État ?

Début mai 2025, le Premier ministre a lancé l’idée d’un référendum sur le budget 2026.
Ce projet a suscité pas mal de scepticisme :
-Des parlementaires y voient une tactique pour éviter des débats difficiles avec un Parlement sans majorité prédéfinie. Ils dénoncent plus fondamentalement une atteinte à leurs prérogatives de représentants du peuple.
-Des juristes rappellent que la décision de recourir au référendum relève du Président de la République, qu’il n’est pas certain que le recours à l’article 11 de la Constitution soit possible dès lors qu’une procédure spécifique aux lois de finances est prévue à l’article 47, et qu’un budget ne peut être assimilé à « une réforme relative à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent ». Ce à quoi le Premier ministre répond qu’il est possible de soumettre au vote un plan d’ensemble ou un texte d’encadrement conforme à la Constitution.
-Des politiques rappellent que le référendum est une arme à manier avec prudence, dès lors que les opinions du moment à l’égard de celui qui pose la question peuvent l’emporter sur une analyse rationnelle de la question posée.

Au lieu d’opposer démocratie directe et démocratie représentative, de multiplier les obstacles juridiques, de dénoncer les arrières pensées politiciennes, on pourrait s’interroger sur l’opportunité et sur les moyens d’associer effectivement les citoyens à l’élaboration du budget. Car, les faire participer aux choix qui conditionnent leur avenir à court et moyen terme, est évidemment une bonne idée et, s’il est vrai que la participation des parlementaires aux décisions budgétaires (d’abord, le consentement à l’impôt, puis le contrôle des dépenses) est historiquement à la base de la démocratie, la discussion budgétaire au Parlement n’est pas un modèle de débats éclairés et transparents (« Litanies, liturgie, léthargie » disait Edgar Faure). La rationalisation du parlementarisme en 1959, la LOLF depuis 2006 et la LOLF bis de décembre 2023 ont établi d’utiles clarifications mais n’ont pas permis de trouver les meilleurs équilibres entre efficacité et qualité des débats. On peut alors imaginer qu’une meilleure association des citoyens pourrait être un facteur de clarification et de revitalisation de la discussion budgétaire et même de légitimation des orientations finalement retenues à l’issue de la procédure parlementaire.

Le référendum de l’article 11 n’est pas la seule piste. Et ce n’est peut-être pas la plus adaptée car le sujet budgétaire est complexe, les options sont multiples et la plupart des choix ne font pas consensus. Il est possible d’associer les citoyens au processus d’élaboration budgétaire en exploitant mieux les données déjà disponibles et en expérimentant de nouvelles formes de concertation.
-Par exemple, les comptes-rendus des 19 conventions régionales du grand débat national tenues en mars 2019 et dont l’un des quatre thèmes était justement les questions de fiscalité et de dépenses publiques sont peines d’enseignements. La synthèse publiée sur internet expose de nombreuses propositions pour mieux associer et mieux informer les citoyens, pour mieux contrôler les finances publiques (révision des missions et de la composition des Cours des comptes), pour réduire les dépenses (mettre fin au mille-feuille administratif territorial), pour des impôts et des aides sociales plus justes et plus équitables (impôt minimum pour tous ; couverture -vie universelle).
-Les possibilités du numérique pourraient être exploitées plus systématiquement sous forme de diffusion de jeux de données budgétaires (nationales et régionalisées), de plateformes d’information et de recueil des réactions des citoyens ou d’hackathons.
-Les expériences de budgets participatifs devraient être davantage mobilisées. Elles consistent à réserver une enveloppe de crédits d’investissement, dont le contenu est décidé par un vote des citoyens. Utilisé dans le monde entier et par des centaines de collectivités territoriales en France, la technique pourrait être transposée au budget de l’État comme cela se fait dans certains pays dont les expériences sont suivies par l’ONG Global initiative for fiscal transparency : Philippines, Corée du Sud, Nouvelle-Zélande.
-Les revues de dépenses, sans cesse relancées par les gouvernements et la direction du budget et peu suivies d’effet jusqu’à ce jour, pourraient être une bonne occasion d’association des citoyens. Elles portent souvent sur des sujets très concrets. Des propositions d’arbitrage entre différentes économies potentielles pourraient être mises en débat.
-Puisque le sujet est complexe, l’organisation d’une ou plusieurs conventions citoyennes serait particulièrement appropriée. Elle permettrait d’entendre des experts, de formaliser des scénarios alternatifs, de hiérarchiser des hypothèses (par exemple sur des programmes d’économies, sur l’alternative hausse des prélèvements/baisse des dépenses…).

L’association des citoyens à l’élaboration du budget de l‘État peut donc prendre d’autres formes que celle du référendum législatif. Elle peut être diversifiée et expérimentale pour tester les procédures d’association et les thèmes de débats. Il faudra sans aucun doute beaucoup de temps, d’imagination et de détermination pour trouver des formules efficaces et attractives mais l’enjeu démocratique justifie de tels efforts.
MLC