En ces temps d’instabilité ministérielle, de marchandages politiciens, de blocages budgétaires, qui révèlent une véritable crise des méthodes d’élaboration des politiques publiques, on se rappelle avec nostalgie une réforme de la procédure budgétaire et du fonctionnement de l’administration, tentée il y a un peu plus de cinquante ans et dont l’appellation fait rêver aujourd’hui : la « rationalisation des choix budgétaires ».
À partir d’une expérience américaine, conduite d’abord dans une grande entreprise de services (la Rand Corporation) et dans les armées, quelques élites des ministères français des finances et de la défense ont élaboré un dispositif rationnel de détermination des priorités de l’action publique fondé sur le calcul économique. Un soutien politique marqué, la constitution de réseau d’ingénieurs, d’économistes et d’administrateurs motivés, de multiples séminaires de formation, une abondante littérature, des premiers cas d’études concrètes ont laissé entrevoir la possibilité de généraliser ces outils au service de la préparation de l’ensemble des budgets publics et même d’amorcer une transformation radicale de l’organisation et du fonctionnement de l’administration sur des bases objectives1.
En quelques années, l’enthousiasme des promoteurs de la réforme s’émoussa et le mouvement s’éteignit progressivement, victime des pesanteurs institutionnelles et culturelles, de l’inertie parlementaire et des obstacles méthodologiques à l’analyse de la performance publique. Les études économiques furent interrompues, les budgets de programme tombèrent en désuétude.
La RCB a cependant nourri, au moins dans l’esprit, les réformes ultérieures même si celles-ci ne s’y sont presque jamais référées : le management public, l’évaluation des politiques publiques et la LOLF. Pas assez pourtant pour modifier en profondeur la culture et les pratiques administratives : la procédure budgétaire continua d’être d’abord une lutte de pouvoirs entre administrations. La réforme administrative fut relancée par quelques programmes transversaux (Renouveau du service public, Révision générale des politiques publiques), aussi ambitieux que la RCB et avec les mêmes limites, notamment une absence de continuité. Le management public s’efforça d’apprivoiser des outils plus rationnels de gestion (direction par objectifs, contrôle de gestion, indicateurs…), sans installer de réelle culture de la performance dans l’action publique La direction du budget continua de relancer périodiquement des procédures de pilotage telles que les normes de dépenses ou les révisions de dépenses, avec des succès toujours limités.
Pourtant la double nostalgie d’une plus grande rationalité dans l’élaboration des budgets publics, d’une part, et d’un paradigme global de la réforme de l’administration d’autre part, est demeurée chez plus d’un acteur public.
Peut-on tirer aujourd’hui quelques leçons utiles de cette lointaine et ambitieuse tentative de réforme ? À l’heure du pilotage à vue de l’action publique, il ne serait pas raisonnable de relancer la perspective d’une méthode globale de réforme1. Mais on peut souhaiter que la fabrication des politiques publiques et du budget fasse l’objet de démarches plus stratégiques, plus rationnelles et plus démocratiques en suivant quelques pistes de bonnes pratiques :
– réinstaller dans le débat public un horizon de long terme et une démarche prospective,
– accompagner les grandes politiques publiques de programmes stratégiques pluriannuels avec débats sur les objectifs et évaluation des impacts,
– valoriser davantage l’expertise scientifique et les travaux des instances d’études, de réflexion et de concertation
– organiser des débats publics avec des experts et des citoyens sur les questions complexes.
Sans chercher à reconstituer la RCB, on pourrait essayer de renouveler son héritage.
MLC
1 V. notamment Le moment RCB ou le rêve d’un gouvernement rationnel 1962-1978.L’invention de la gestion des finances publiques, sous la direction de Philippe Bezes, Florence Descamps, Sébastien Kott, IGPDE, Comité pour l’Histoire économique et financière de la France, Ministère de l’économie, des finances et de la relance, Paris 2021
La RCB, une approche budgétaire nouvelle qui n’a pas répondu aux espérances mises en elle, Michel Paul, Gestion & Finances publiques n°1, janvier 2010, p.70-73.
2 On ne peut davantage se limiter à regretter la disparition du Plan qui assurait l’essentiel de la vision prospective et de la concertation en amont des politiques publiques.