repere_2024

REPÈRES (MARS 2024) – REVUE-GFP N°3 – 2024

BUDGET DE L’ÉTAT ET DES OPÉRATEURS
->Données générales sur les finances publiques

2023 : le déficit public s’élève à 5,5 % du PIB, la dette publique à 110,6 % du PIB

Dans une note publiée le 26 mars 2024, l’INSEE indique que le déficit public pour 2023 s’établit à 154,0 Md€, soit 5,5 % du PIB, après 4,8 % en 2022 et 6,6 % en 2021. Les recettes ralentissent nettement en 2023 : elles progressent de 2,0 % après + 7,4 % en 2022. Le taux de prélèvements obligatoires diminue et s’établit à 43,5 % du PIB après 45,2 % en 2022, à un niveau proche de l’avant Covid (43,9 % en 2019). Les dépenses ralentissent également : elles augmentent de 3,7 % après + 4,0 % en 2022. En proportion du PIB, les dépenses continuent de reculer et s’établissent à 57,3 % du PIB après 58,8 % en 2022 et 59,6 % en 2021, cependant, elles demeurent sensiblement supérieures à l’avant Covid (55,2 % du PIB en 2019). La dette des administrations publiques au sens de Maastricht atteint 110,6 % du PIB fin 2023 après 111,9 % fin 2022 ; elle était de 97,9 % du PIB en 2019. Alors que le Gouvernement prévoyait un déficit inférieur à 5 % du PIB pour l’année 2023, Pierre Moscovici a affirmé sur France Inter : « C’est un dérapage dans l’exécution qui est important, pas tout à fait inédit mais très rare ». Le Premier président de la Cour des comptes de continuer : « C’est l’un des déficits les plus élevés de la zone euro, nous sommes dans une posture qui nous oblige à dire la vérité aux français sur nos finances publiques ». Interrogé par Le Point, François Ecalle, Président de Fipeco, indique que dans une telle situation « Soit on réduit les dépenses, soit on augmente les impôts ». Mais le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, s’est redit « opposé à toute augmentation d’impôt » en France, malgré l’annonce de l’INSEE. Restent donc les dépenses…

En mars 2024, les prix à la consommation augmentent de 2,3 % sur un an

Dans une note publiée le 29 mars 2024, l’INSEE précise que sur un an, selon l’estimation provisoire réalisée en fin de mois, les prix à la consommation augmenteraient de 2,3 % en mars 2024, après + 3,0 % en février. Cette baisse de l’inflation serait due au ralentissement sur un an des prix de l’alimentation (+ 1,7 % en mars après + 3,6 % en février), des services, du tabac, de l’énergie et des produits manufacturés. Sur un mois, les prix à la consommation ralentiraient en mars 2024 (+ 0,2 % après + 0,9 % en février). Ce ralentissement serait dû à la légère baisse des prix de l’énergie, notamment du gaz et des produits pétroliers. À l’inverse, les prix des produits manufacturés accéléreraient, du fait de la hausse saisonnière des prix de l’habillement après les soldes d’hiver. Les prix de l’alimentation et des services seraient stables sur un mois.

Rapport public annuel 2024 de la Cour des comptes : la situation d’ensemble des finances publiques (à fin février 2024)

Le traditionnel Rapport public annuel de la Cour des comptes a été publié le 12 mars 2024. Son premier chapitre est consacré à la description de la situation d’ensemble des finances publiques à fin février 2024, après deux années caractérisées par de fortes tensions inflationnistes et un niveau élevé des prix de l’énergie. La Cour rappelle que les textes financiers de l’année ont été bâtis sur une prévision de croissance trop optimiste de 1,4 % que le Gouvernement a finalement décidé d’abaisser à 1,0 % en février, ce qui reste élevé au regard des prévisions des organismes nationaux et internationaux (autour de 0,7 % pour le consensus des économistes). Cette révision à la baisse est assortie de mesures d’économies destinées à maintenir inchangée la prévision de déficit et la trajectoire pluriannuelle que trace la loi de programmation des finances publiques. Mais alors que la charge de la dette croît rapidement, la Cour relève que la trajectoire pluriannuelle de retour du déficit sous les 3 % à l’horizon 2027 exigera d’importants efforts de maîtrise de la dépense qu’il importe d’identifier et d’étayer rapidement. Cela suppose, non seulement de maintenir l’objectif de solde pour 2024 mais aussi de réaliser environ 50 Md€ d’économies nouvelles entre 2025 et 2027. Au regard de la situation, la Cour considère que toute mauvaise surprise macroéconomique supplémentaire d’ici 2027 et toute réalisation budgétaire en deçà des ambitions affichées, feraient courir le risque d’une hausse encore plus importante du ratio d’endettement public au cours de la période de programmation. Les magistrats de la rue Cambon indiquent qu’il est désormais essentiel de faire preuve de sélectivité dans les dépenses et de compenser tout surcroît de dépense ou toute baisse d’impôt par des économies ou des hausses de recettes. Il sera aussi crucial d’engager des réformes ambitieuses dans certains secteurs clés pour infléchir durablement le rythme de la dépense et de faire enfin du renforcement de la qualité de la dépense une priorité de premier rang.

Le coût des politiques publiques en 2022

Le 19 mars 2024, le site spécialisé Fipeco a proposé une étude sur la publication d’Eurostat concernant la ventilation des dépenses publiques par « fonctions » en 2022 dans les pays de l’Union européenne. Les « fonctions » de cette nomenclature, qui correspondent globalement à des politiques publiques, permettent donc d’effectuer une comparaison, en pourcentage du PIB, entre la France et les autres pays européens. En synthèse, les dépenses publiques de la France représentaient 58,3 % du PIB en 2022 contre une moyenne de 49,6 % dans l’Union européenne. Le poids des dépenses publiques, en pourcentage du PIB, est plus élevé en France que dans l’Union européenne pour toutes les fonctions à l’exception des transports et de la sécurité intérieure et de la justice. L’écart entre la France et la moyenne européenne est plus particulièrement important pour les fonctions retraites (2,5 points de PIB), santé (1,7 point) et logement (0,7 point). La répartition des dépenses par politique publique en pourcentage du total des dépenses publiques montre que la France a donné une priorité plus grande que la moyenne des pays de l’Union européenne aux retraites, au logement, au chômage, à l’environnement et à la défense. Cette priorisation, par rapport à celle des autres pays, s’est faite au détriment de l’enseignement, de la recherche, des transports, de la sécurité intérieure et des fonctions supports.

->Budgets des opérateurs

L’Autorité des marchés financiers

Dans un rapport d’observations définitives publié le 18 mars 2024, la Cour des comptes a contrôlé la gestion de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF). La Cour relève notamment que la situation financière de l’AMF est devenue critique du fait d’investissements non totalement financés. En effet, si l’activité opérationnelle de l’AMF ne soulève pas de remarques fortes, il n’en va pas de même de sa gestion administrative et financière. L’AMF disposait au 31 décembre 2016 d’une trésorerie importante s’élevant à 54,4 M€. Fin 2021, elle n’atteignait plus que 35 M€ et fin 2022, 22 M€, alors que près de 20 M€ d’investissements avaient été engagés pour 2023 sur l’informatique et l’immobilier. Compte tenu des recettes attendues insuffisantes pour faire face à ces engagements, la situation financière était devenue insoutenable. L’AMF se serait retrouvée potentiellement en situation de cessation de paiement si l’État n’avait pas décidé d’augmenter de façon significative le montant des ressources mis à sa disposition (de 2,5 M€ en 2023 et de 6,5 M€ en 2024, soit + 9 % au total). Cette situation est la conséquence de plusieurs facteurs. Tout d’abord, le compte de résultat de l’AMF, ou son budget, a été systématiquement présenté et exécuté en déséquilibre, générant ainsi une capacité d’auto-financement insuffisante pour financer les investissements. Ensuite, le montant des investissements n’a cessé de croître, passant de 2,5 M€ en 2016 à 10,9 M€ par an entre 2017 et 2021 et 20 M€ en moyenne en 2022 et en 2023, en raison du lancement d’importants projets informatiques en 2016 et aussi de la décision de mettre en œuvre un projet de réaménagement immobilier coûteux en 2021. La situation était donc structurellement déséquilibrée. Au total, le montant des investissements décidés et exécutés, compte tenu de certains dérapages, a dépassé sur la période 2017-2022 la somme de 75 M€, excédant largement le niveau de trésorerie de 54,5 M€ constaté fin 2016. Les dépenses d’investissement ont été engagées sans s’assurer au préalable avec l’État de la disponibilité des ressources suffisantes. L’AMF s’est contentée de demander des relèvements de plafond de ressources à l’État, sans engager une revue des dépenses. Elle a enfin sous-estimé ses besoins d’investissement. Le comité d’audit de l’AMF a émis des alertes relatives à la situation délicate de la trésorerie mais celles-ci n’ont pas été prises en compte. La direction générale du Trésor, qui est membre du comité d’audit, n’a pas transmis l’information à la direction du eudget avec laquelle l’AMF n’a pas engagé de discussion. La Cour des comptes constate néanmoins que début 2023, la direction de l’AMF s’est engagée dans un exercice de programmation pluriannuelle de l’ensemble de ses dépenses de fonctionnement et d’investissement, partagé avec l’État. Pour les magistrats financiers cet exercice doit être mené à son terme, l’indépendance indispensable de l’AMF dans ses décisions de régulation ne pouvant en effet être comprise comme une autorisation à engager des dépenses au-delà de ses ressources. Aux termes de son contrôle, la Cour des comptes a formulé huit recommandations : établir une trajectoire pluriannuelle d’effectifs cohérente avec l’évolution des missions de l’AMF ; augmenter le recours aux commissions spécialisées du collège de l’AMF tel que prévu par le code monétaire et financier ; préciser les rôles respectifs du président et du secrétaire général, notamment sur les sujets relatifs aux fonctions support ; autoriser le président de l’AMF à consentir des délégations de pouvoir ; revoir l’organigramme des fonctions support en précisant les missions et les responsabilités de chaque direction, particulièrement pour la direction juridique, la direction financière et la direction informatique ; fiabiliser la trajectoire financière pluriannuelle en intégrant tous les investissements ; procéder chaque année à un examen conjoint de la situation budgétaire de l’AMF ; reprioriser les projets menés par l’AMF concernant les systèmes d’information.

->Patrimoine de l’État

La rénovation énergétique des établissements publics relevant de l’Enseignement supérieur et de la Recherche est en marche

Le 28 mars 2024, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Sylvie Retailleau, et le ministre délégué chargé des comptes publics, Thomas Cazenave, ont annoncé que 432 projets de rénovation énergétique portés par les établissements publics relevant du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR) étaient lauréats de l’appel à projets 2024 de la direction de l’immobilier de l’État. Les projets de rénovation sélectionnés doivent permettre un gain énergétique estimé à 80 GWh par an. Ces projets sont répartis sur tout le territoire national. Dans le détail, le réseau des œuvres universitaires et scolaires se voit allouer 12 M€ pour 32 projets, les universités et les autres établissements publics d’enseignement supérieur 80 M€ pour 245 projets et les organismes nationaux de recherche 25 M€ pour 155 projets. Environ 57 M€ seront consacrés à des travaux à gains énergétiques rapides (389 projets portés par 72 établissements) et 61 M€ à des travaux de rénovation lourde, dont 5 M€ pour la réalisation d’études préalables (43 projets portés par 28 établissements). Ces crédits s’inscrivent dans l’enveloppe plus globale de 550 M€ qui a été octroyée par la DIE au terme de l’appel à projets 2024 pour la rénovation énergétique des bâtiments de l’État et de ses opérateurs

FINANCES LOCALES
->Données générales sur les finances locales

Rapport annuel 2024 de la Cour des comptes

Les juges financiers, dans leur rapport public 2024, abordent la question de l’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique. Avant d’étudier la question proprement dite, les magistrats estiment que la dépense publique locale en 2024 augmenterait de + 0,7 %, notamment grâce aux dépenses d’investissement. Cependant, ce constat est très loin de garantir la réalisation des investissements nécessaires à la transition énergétique. Sans aborder tous les points relevés, notons qu’en matière d’emprunt, pour la Cour des comptes, « les prêts verts à destination des collectivités territoriales, qui constituent l’essentiel des financements prévus, accusent un retard conséquent ». Par ailleurs, la Cour relève de nombreuses lacunes méthodologiques comme l’absence de réflexion sur le trait de côte ou l’absence de réflexion globale sur la stratégie « répondant aux enjeux spécifiques du changement climatique en montagne ».

->Transferts de l’État

Actualisation du guide pratique de la DGF

Ce désormais traditionnel guide apporte de véritables informations sur les modifications de la DGF ainsi que sur les règles d’éligibilité aux différentes parts. Rappelons qu’en 2024, la DGF représente 27,245 Md€ dont pour la dotation forfaitaire 6,7 Md€. En termes de modification, la part CPS sera perçue désormais par les EPCI et non plus les communes, mais au final il s’agit d’un jeu à somme nulle pour l’État mais pas pour les communes. En termes de dotations de péréquation, celles-ci augmentent de 320 M€ principalement financée par l’État et non pas intégralement par l’écrêtement de la part forfaitaire des communes.

->Secteur public local

Circulaire du 14 mars 2024 relative au déploiement du Fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires

Cette nouvelle circulaire précise certains éléments du « Fonds vert », dans le cadre du Programme n°113 intitulé « Paysage, eau et biodiversité », qui a déjà été raboté en passant de 2,5 à 2,1 Md€ suite au décret du Premier ministre d’annulation des crédits de 10 Md€ (v. Repères, févr. 2024) . La première mesure mise en exergue dans ce guide concerne la nécessité de déployer systématiquement des atlas de la biodiversité (inter) communale. Ensuite, cette note souhaite la mise en œuvre d’une stratégie nationale pour les aires protégées. Au sein du fonds vert, les préfets de région disposent d’une enveloppe au sein du programme 113 couvrant le financement des projets d’investissement locaux (acquisition de foncier, travaux de protection et de restauration) « répartis entre les régions sur la base du niveau d’engagement 2023 hors crédits ayant bénéficié aux établissements publics de l’État », précise le ministère. La répartition de cette enveloppe relève du préfet de région.

FINANCES SOCIALES
->Situation des comptes sociaux

Rapport annuel de la Cour des Comptes et la nécessaire maîtrise de la dépense sociale

La Cour des Comptes a publié le 12 mars son rapport public annuel 2024 dont la partie transversale est consacrée cette année à l’adaptation au changement climatique. La synthèse générale sur les finances publiques à fin février 2024 est particulièrement alarmiste sur l’évolution de celles-ci à moyen terme au regard de la trajectoire prévue jusqu’à 2027 en matière de déficit et de dette par la loi de programmation pluriannuelle. Or cette évolution est largement dépendante des paramètres affectant les administrations de Sécurité sociale. Comme l’a confirmé l’INSEE le 26 mars, le solde des administrations de Sécurité sociale(ASSO) en 2023 est excédentaire de 12,9 Md€ et apporte donc une capacité de financement de 0,46 points de PIB au solde global des administrations publiques, pour lequel le dérapage du déficit (-5,5% du PIB contre -4,9% prévus) a été largement commenté ; mais ce résultat pour les ASSO, en 2023, est trompeur, car il repose essentiellement sur la bonne tenue des régimes de retraite complémentaires (voir infra) et du régime de l’Assurance chômage, ainsi que sur le mode de comptabilisation des opérations de la CADES, alors même que les déficits du Régime général et du FSV se creusent et que la trajectoire d’évolution des finances publiques jusqu’en 2027 intègre la poursuite de cette évolution (- 17,2 Md€ en 2027). Selon la Cour, « la persistance en moyenne période de déficits massifs de la Sécurité Sociale ne peut être justifiée dès lors que l’économie ne se trouve pas en bas de cycle comme en 2020 (… ) Des mesures doivent être prises pour ramener les comptes de la Sécurité sociale à l’équilibre à l’horizon de 2027 ». L’alerte de la Cour est étayée par les incertitudes qui pèsent sur le scénario du Gouvernement : d’une part, la trajectoire macroéconomique est trop optimiste car reposant sur une prévision de croissance potentielle de 1,35 % par an à partir de 2023 peu réaliste, fondée sur les effets aléatoires des réformes du marché du travail ; d’autre part, des perspectives de maîtrise de la dépense publique peu étayées : celles-ci se basent sur une hypothèse de croissance des dépenses des ASSO limitée à 0,5 % par an en volume entre 2024 et 2027, ce qui suppose en effort inédit d’économie de 6Md par an à partir de 2025, à supporter essentiellement par l’Assurance maladie (puisque les économies liées au réformes du marché du travail ont déjà été prises en compte) et qui reste à ce jour à documenter. La Cour souligne la faiblesse des marges de manœuvre dans l’hypothèse d’un scénario macroéconomique défavorable, qui placerait la France dans une situation critique au regard de ses engagements européens.

Les dépenses sociales prochaine cible de la politique de maîtrise des dépenses publiques ?

Un commentaire d’actualité du site FIPECO présente une analyse de la répartition des dépenses par politique publique en 2022 à partir des données d’Eurostat. La note rappelle que le poids des dépenses publiques en France a été cette année de 58,3 % du PIB, soit le niveau le plus élevé de l’UE (moyenne : 49,6 %). La France se caractérise par un taux de dépenses pour la protection sociale particulièrement élevé (32,9 % du PIB), dont 14,4 % pour les retraites (moyenne européenne 11,9 %, seule l’Italie dépense plus), 12,2 % pour la santé (moyenne 10,5 %), 2,2 % pour la famille (moyenne 1,9 %), 1,7 % pour le chômage (moyenne 1,2 %), 1,3 % pour l’exclusion sociale (moyenne 1,1 %) et 0,8 % pour les aides personnelles au logement (moyenne 0,3 %). Ces proportions se confirment si l’on raisonne en pourcentage de la dépense publique et elles appellent l’attention si on met les dépenses sociales en parallèle avec les « dépenses d’avenir » comme l’éducation et la recherche -fondamentale et appliquée- pour lesquelles l’effort de la France est inférieur à la moyenne européenne (respectivement 9% du total des dépenses -moyenne 9,5 % – et 2,9 % – moyenne 3,5%). Le débat sur une inversion des priorités a pris de l’ampleur depuis l’annonce du dérapage des comptes publics en 2023, (voir supra) sans précédent en dehors des périodes de crise. Dès le 17 mars, dans un entretien au Journal du dimanche, le ministre de l’Économie et des finances, Bruno Le Maire, déclarait que « les salariés ne peuvent plus être les seuls financeurs du modèle social. La charge est trop lourde. Il faut trouver des voies complémentaires plus justes et moins pénalisantes pour le travail et la production (…) Nous devons reprendre la maîtrise de ce système devenu incontrôlable. Quel est en fait son but ultime ? La gratuité de tout pour tous, tout le temps : c’est intenable ! ». Toutes les sources potentielles d’économies alimentent à présent le débat public : l’assurance chômage (voir infra), les retraites, avec l’hypothèse d’une sous-indexation des pensions (à ce stade écartée par le Président de la République) ou d’un alignement du taux de CSG des retraités), la santé (meilleur contrôle des arrêts de travail, diminution des dépenses de transport sanitaire, voire modulation des remboursements en fonction des revenus, etc…), la formation professionnelle, et les exonérations de charges sociales pour les entreprises (en lien avec le débat sur la « désmicardisation »).

La performance dans la programmation/gestion des fonds européens dans le champ social

La Cour des comptes a publié ses observations définitives sur « la performance dans la programmation et la gestion des fonds européens dans le champ social ». La contribution de ceux-ci au financement des politiques publiques de l’emploi est significative puisqu’elle représente 14 Md€ sur la période 2021-2027. Ces financements sont distribués essentiellement par trois fonds : le Fonds social européen (FSE+) qui fait partie des fonds structurels « historiques » du Traité de Rome, la « Facilité pour la reprise et la résilience » (FRR) créée en 2020 et le « Fonds pour une transition juste » (FTJ) créé en 2021 au moment de la crise sanitaire.

Comme le relève d’emblée la Cour, la difficulté d’apprécier la performance de ces instruments repose sur une appréciation différente de cette notion au niveau national (aux termes de la LOLF, la performance est l’adéquation entre les objectifs visés, les moyens mobilisés et les résultats obtenus) et au niveau européen (où la performance s’entend principalement de la correcte attribution des crédits et de la conformité des actions aux objectifs prévus). La Cour émet quatre critiques principales : d’une part, l’insuffisante lisibilité dans la programmation des fonds qui résulte de la superposition des instruments, avec des périmètres d’intervention non harmonisés ; d’autre part, un système d’attribution, de suivi et de contrôle plus axé sur la conformité et la consommation des crédits que sur la prise en compte des besoins réels ; ensuite l’existence d’obstacles administratifs nombreux pour les bénéficiaires notamment au niveau de la sélection des projets ; enfin la contrainte de mobiliser des ressources trop importantes pour la gestion des fonds alors même que le cadre de gestion (le plus souvent hors budget de l’État), éloigné des standards des lois de finances, fait courir des risques financiers pour l’État. La Cour des comptes formule enfin sept recommandations de gestion.

->Dette sociale

Lancement de travaux d’enquête parlementaire sur la dette sociale

Selon une information publiée dans Les Échos du 1er mars, la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale (MECSS) de l’Assemblée Nationale va se pencher sur la dette sociale, qui va se creuser du fait de la persistance des déficits de la Sécurité sociale (- 17 Md€ en 2027 selon les projections associées à la LFSS 2024), alors même que les ressources de la CADES ne permettront pas d’apurer la dette sociale à la date prévue pour son extinction en 2033 (sur ce point, voir les inquiétudes également exprimées par le Sénat cf. Repères, nov. 2023) ; les travaux de la mission qui seront menés par les députés Rist (Renaissance) et Clouet (LFI) devraient aboutir avant l’été.

->Dépenses de santé/Hôpital/Assurance maladie

Audit flash de la Cour des comptes sur la prévention des risques professionnels

Un audit flash de la Cour des comptes fait le bilan des actions de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles mises en œuvre par la Caisse nationale d’Assurance maladie (CNAM). Ces actions, qui ont représenté un montant de 384 M€ sur les quatre années 2019-2022, reposent sur deux dispositifs, le contrat de prévention, qui est un plan global de prévention des risques sur mesure, proposé aux entreprises de moins de 200 salariés, et les subventions « prévention TPE » réservées aux entreprises de moins de 50 salariés et attribuées selon une logique de guichet (Il convient de rappeler que les entreprises de plus de 149 salariés doivent verser une cotisation qui est fonction de leur sinistralité, dans une logique assurantielle). La Cour des comptes relève une insuffisance de l’évaluation des actions ainsi que de la prise en compte de la sinistralité alors même que celle-ci est importante dans les petites entreprises, et elle critique les carences du contrôle interne et de la lutte contre la fraude. Elle préconise un renforcement du pilotage de ces actions par la CNAM, tout en soulignant que la tarification des cotisations versées par les entreprises de plus de 149 salariés reste le dispositif le plus efficace de prévention des accidents du travail.

La situation financière des hôpitaux privés

Le secteur privé de la santé-qui assure 35% des hospitalisations – s’insurge, par la voix de la Fédération de l’hospitalisation privée, contre la non revalorisation de ses tarifs pour 2024 (+ 0,3 % contre + 4,3 % pour les tarifs hospitaliers publics). Il met en garde contre la probable survenue d’une proportion de 60 % d’établissements déficitaires, et le risque de fermeture d’un certain nombre de ceux-ci, avec pour conséquence une aggravation des inégalités territoriales. Une grève des cliniques privées a été annoncée pour le mois d’avril.

Le rapport du HCAAM sur la prospective des ressources humaines en santé

A la demande de la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, le Haut conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (HCAAM) a rendu un rapport sur « la prospective des ressources humaines en santé pour assurer l’équité d’accès aux soins sur tous les territoires ». Ce rapport présente 13 propositions méthodologiques et organisationnelles ; les deux principales portent sur l’optimisation de la couverture des besoins dans les différentes professions au niveau territorial et sur la nécessité d’une planification à long terme des ressources humaines (au minimum 12 ans pour les infirmières et 18 ans pour les médecins).

->Retraites

La bonne situation des régimes de retraite complémentaires du privé

L’AGIRC-ARRCO a présenté le 29 mars les résultats de sa gestion 2023. Le régime présente un excédent technique de 4,3 Md€ (auxquels s’ajoute un résultat financier de 1,7 Md€), un peu en retrait par rapport à celui de 2022 (+ 5,6 Md€). Ce résultat n’intègre pas encore les effets de la réforme des retraites d’avril 2023 qui devraient être très bénéfiques pour le régime complémentaire ; il a permis de financer une revalorisation des retraites de 4,9 % au 1er novembre 2023. Le montant des réserves à fin 2023 s’élève à 78,5 Md€ (la « règle d’or  » étant de disposer à tout moment sur 15 mois glissants d’une réserve au moins égale à au moins 6 mois d’allocations annuelles). Ces bons résultats ne vont pas manquer de relancer la confrontation avec le Gouvernement qui avait dû finalement renoncer à la fin de l’année dernière à ponctionner les réserves de l’AGIRC-ARRCO pour financer le relèvement du minimum de pension opéré par la réforme des retraites d’avril 2023.

->Famille

Augmentation des salaires dans le secteur de la petite enfance

La ministre du travail, de la santé et des solidarités a annoncé le 6 mars un accompagnement financier des Caisses d’allocations familiales pour les branches professionnelles qui accorderaient une augmentation salariale de 150€ par mois en moyenne aux salariés des métiers de la petite enfance. Cette augmentation devrait couvrir environ les deux tiers des augmentations salariales. Cette mesure s’inscrit dans le programme d’amélioration de l’offre d’accueil en matière de petite enfance et de l’attractivité des métiers, qui a pour objectif de créer 200.000 nouvelles places d’accueil d’ici à 2030.

->Politique de l’emploi et de la formation professionnelle

Les résultats de la « prime Macron » en 2023

Comme déjà annoncé (v. Repères, janv. 2024) et selon les résultats rendus publics par l’ACOSS, la « prime de partage de la valeur » (dite « Prime Macron ») a été versée en 2023 à près de 6 M de salariés pour un total de 5,32 Md€ (contre 5,4 Md€ en 2022), avec un montant moyen de 885 € versé à chaque salarié. Sur ce total, 23,9 % des primes ont été versées par des entreprises de moins de 10 salariés, et 24 % des entreprises du secteur privé (principalement dans l’industrie) ont accordé cette prime. Le montant moyen versé est hétérogène selon les secteurs, significativement plus faible dans les secteurs employant une main d’œuvre à bas salaires (action sociale, médico-social, etc…).

Instauration d’un reste à charge pour la mobilisation du compte emploi-formation

Selon les informations parues dans Les Échos le 11 mars, le reste à charge pour le salarié qui mobilisera son compte emploi-formation sera finalement de 100€ par formation (et non 10% du montant de la formation comme le demandait le ministère des finances), ce qui représentera une économie de 375 M€ en année pleine (par rapport à un montant de dépenses du compte personnel de formation de 2,1 Md€ en 2023). La mesure entrera en application au 1er mai 2024.

La réduction de la subvention à France Travail

Selon des informations parues dans la presse, la convention tripartite qui fixe les ressources de France Travail pour la période 2024-2027 entérinera une réduction cumulée de 600 M€ de la subvention que l’État verse à l’opérateur, ce qui ramènera le niveau annuel de celle-ci à 1,35 Md€. L’essentiel des ressources de France Travail restera constitué par la subvention de l’UNEDIC (fixée à 11 % des recettes de celle-ci) qui représente environ 80% de son financement.

->Assurance chômage

Vers une nouvelle réforme de l’Assurance chômage ?

Dans son entretien à TF1 le 26 mars, le Premier ministre a réaffirmé que le retour au plein emploi et le développement de l’offre de travail constituaient l’instrument essentiel pour le redressement des comptes publics dont il juge la situation « sérieuse ». Il a fait part de l’intention du Gouvernement de mettre en œuvre une nouvelle réforme de l’Assurance chômage. Ce serait la troisième, après celle de 2021 qui a revu le mode de calcul de l’allocation, augmenté le nombre de mois d’activité nécessaires pour ouvrir droit aux allocations et introduit une dégressivité pour les hauts salaires, et celle de 2023 qui a institué une modulation de la durée d’indemnisation en fonction de la conjoncture. Il a marqué sa préférence pour une nouvelle réduction de la durée d’indemnisation et un renforcement des règles d’éligibilité, plutôt que pour un durcissement de la dégressivité. Le Gouvernement enverra d’ici l’été un nouvelle lettre de cadrage aux partenaires sociaux, contraignant ceux-ci à revenir -au moins partiellement- sur la convention UNEDIC qu’ils avaient signée à la fin de l’année dernière et qui n’avait pas les faveurs du gouvernement (v. Repères, nov. 2023) ; elle les obligera aussi à prendre en compte les éléments de cette lettre dans la négociation sur l’emploi des seniors qu’ils ont encore du mal à boucler, puisque le terme des discussions a dû être reporté au 8 avril (v. Repères, déc. 2023).

->Solidarité, lutte contre la pauvreté, revenu universel

Un blog de l’OFCE sur l’effet incitatif de l’injonction au travail

Un billet de blog de l’OFCE intitulé « comment verser de l’argent aux pauvres ? » reprend les problématiques de l’ouvrage de Guillaume Allègre, intitulé La solidarité sous conditions sur ce thème. L’auteur fait le bilan des politiques de revenu minimal d’existence mises en œuvre dans la plupart des pays occidentaux pour lutter contre la pauvreté et remet en cause l’efficacité des pratiques de conditionnalité pour inciter à la reprise d’une activité, comme c’est l’objet de la « mise sous conditions du RSA » qui va être généralisée en 2025. Pour celui-ci, cette conditionnalité risque même d’avoir des effets contreproductifs en augmentant le non recours chez les personnes les plus éloignées de l’emploi ; une politique efficace d’accompagnement vers l’emploi devrait, selon l’auteur, conduire à mettre en place des pratiques basées sur le volontariat et moins stigmatisantes, et accentuer la distinction, parmi les allocataires, entre ceux qui relèvent du parcours social et ceux qui relèvent du parcours professionnel.

->Contrôles, lutte contre la fraude

Premier bilan du plan de lutte contre les fraudes aux finances publiques

Le Premier ministre a présenté le 20 mars le bilan d’un an du plan de lutte contre les fraudes fiscales, sociales et douanières adopté l’an dernier. S’agissant de la fraude dans le domaine social, Gabriel Attal a particulièrement souligné les résultats obtenus en matière de lutte contre la fraude aux cotisations sociales et le travail dissimulé ; en 2023 les redressements opérés par les URSSAF ont atteint le montant record de 1,2 Md€ (contre 800 M€ en 2022). Ces résultats sont le fruit du plan, qui doit se traduire par un renforcement des moyens des URSSAF (+ 240 postes affectés à cette tâche d’ici 2027 – v. Repères, mai 2023) ainsi que par un meilleur ciblage des contrôles par l’intermédiaire du data-mining. Présentant les résultats détaillés devant la presse le 13 mars, le ministre délégué chargé des comptes publics avait annoncé le plan d’action pour améliorer le recouvrement effectif de ces pénalités, qui n’a représenté en 2023 que 10% (soit 80 M€) des redressements opérés l’année précédente. Il a annoncé la parution d’ici mai de deux décrets destinés à lutter contre la dissimulation d’activité. S’agissant de la fraude aux prestations sociales, le montant détecté et redressé en 2023 s’est élevé à 1,050 Md€, soit 400 M€ pour les allocations familiales, 200 M€ pour la branche Vieillesse et 450 M€ pour l’assurance maladie. Le Premier ministre a demandé une intensification des efforts dans ce dernier domaine, en fixant un objectif de détection de 2,4 Md€ entre 2024 et 2027, en ciblant notamment les surfacturations et les dérives des centres de santé (dont une vingtaine ont fait l’objet d’une suspension des remboursements en 2023).

FISCALITÉ ET PROCÉDURES FISCALES
->Politique fiscale

Rapport public annuel de la Cour : « des prévisions de recettes fiscales optimistes »

Dans le rapport public annuel de la Cour des comptes, la présentation de la situation des finances publiques en 2023 et 2024, ainsi que des principaux risques qui affectent l’exercice budgétaire en cours, a attiré l’attention du lecteur. Six mois après la présentation du PLF pour 2024 (v. Repères, sept. et oct. 2023), le contexte conjoncturel s’est assombri. La prévision initiale du Gouvernement (+ 1,4%) étant devenue inatteignable, celui-ci a finalement annoncé, en février 2024, une révision de son scénario macroéconomique avec une prévision de croissance ramenée à + 1 %. Au-delà des prix de l’énergie, plusieurs inconnues affectent encore le scénario macroéconomique pour 2024 (taux d’épargne des ménages et de la productivité, impact de la hausse des taux d’intérêt sur l’investissement des entreprises, exportations dans un environnement international de chocs géopolitiques, etc.). S’agissant des prévisions de recettes fiscales, la Cour des comptes considère qu’elles sont « optimistes et exposées à des risques ». Pour l’année 2023, à l’inverse de ce qui avait été constaté en 2021 et en 2022, les prélèvements obligatoires ont progressé spontanément, c’est-à-dire en fonction de l’activité et à législation inchangée, à un rythme très inférieur à celui de l’activité. En couplant ce constat à des mesures nouvelles de baisses d’impôts (- 4,2 Md€), cette atonie des recettes publiques a entraîné une diminution, inédite, de 1,4 point du ratio de prélèvements obligatoires (44,0 points de PIB selon la Cour). Le manque à gagner dans les caisses de l’État, constaté en 2023, peut être estimé, selon la Cour des comptes, à environ 33 Md€. En 2023, les recettes de l’IS ont chuté de 10,7 % à législation constante, soit un tiers du manque à gagner. La faible progression de la masse salariale a pesé sur les recettes de l’IR en 2023, soit un autre tiers du manque à gagner. Enfin, le dernier tiers se partage entre, d’une part, une faible croissance spontanée de la TVA (+ 4,4 %) et, d’autre part, la baisse des DMTO (- 20 %) sous l’effet de la chute sensible des transactions immobilières. Enfin, l’exercice budgétaire 2023 s’est également clos avec des recettes fiscales nettes sur le budget de l’État inférieures de 7,7 Md€ par rapport à ce qui était prévu par la loi de finances de fin de gestion. La politique de baisse pérenne de certains impôts menée depuis 2018 a continué de produire ses effets jusqu’en 2023, avec notamment la dernière étape de la suppression de la taxe d’habitation (-2,8 Md€) et la diminution de la CVAE (- 4,2 Md€). Pour l’année 2024, si la loi de finances marque globalement l’arrêt des baisses d’impôt, la principale baisse consistant en une légère diminution additionnelle de la CVAE (- 1,0 Md€), dont la suppression serait finalement étalée jusqu’en 2027, des hausses d’impôts sont parallèlement prévues en 2024, en lien avec le repli des prix de l’énergie (contribution sur les rentes infra-marginales des producteurs d’électricité – CRIM) et avec le verdissement de la fiscalité (hausse des accises sur le gaz). En dépit des aléas liés à ces mesures nouvelles, les prévisions de recettes pour 2024 doivent être observées au regard de la nouvelle prévision de croissance à 1 % du PIB. Ainsi, à croissance donnée, la prévision de recettes de TVA du Gouvernement apparaît élevée selon la Cour des comptes. Le Gouvernement fait, en outre, l’hypothèse d’une stabilité des DMTO en 2024, ce qui est optimiste compte tenu de la persistance d’une orientation à la baisse du marché immobilier. Ensuite, la prévision d’évolution de la masse salariale va créer un effet de base défavorable pour les recettes de l’IR en 2024. Enfin, l’exécution budgétaire décevante en recettes pour 2023 joue à la baisse sur le niveau attendu des recettes pour 2024, en raison des à-coups de l’IS. Le Premier président de la Cour des comptes critique les prévisions de croissance du Gouvernement et juge que la trajectoire de prévision des recettes pour cette année reste précaire.

Un déficit public dégradé et un dérapage fiscal inaccoutumé selon le Gouvernement…

Selon l’INSEE, le déficit public a été établi à -5,5 % du PIB pour 2023, loin de l’objectif fixé à – 4,9 % par le Gouvernement (v. tribune A. Baudu et X. Cabannes, « Une cure de détox pour notre État drogué à la dette ! », Le Point, 26 mars 2024). Le ministre des finances met en avant une baisse des recettes fiscales inattendue. L’opposition parlementaire reproche au Gouvernement une insincérité budgétaire et d’avoir dissimulé des informations. Ce qui est certain, c’est qu’il s’agit d’un dérapage inaccoutumé pour le Gouvernement. Selon le Premier président de la Cour des comptes, ce n’est « pas tout à fait inédit mais très, très rare ». Selon le Gouvernement « des circonstances exceptionnelles » expliquent cet écart. Les recettes fiscales ont été nettement inférieures aux prévisions du Gouvernement. Selon le ministère des finances, cet écart est principalement dû au rapide recul de l’inflation. Les recettes de TVA ont donc été moins dynamiques (92 Md€ encaissés au lieu des 96 Md€ attendus en 2023). Les recettes de l’IR ont été plus faibles (cf. supra). Les DMTO ont nettement baissé en raison d’un ralentissement significatif des ventes immobilières. Le rendement décevant de l’IS (- 4,4 Md€ par rapport à ce qui était escompté). Le Gouvernement a enfin constaté le complet échec de la contribution sur les rentes inframarginales des producteurs d’électricité (CRIM) qui était censée rapporter 12,3 Md€ en 2023, et qui n’a rapporté que 0,3 Md€… Ces explications n’ont pas convaincu les oppositions parlementaires, ni de droite, ni de gauche. Si certains députés estiment qu’il y a mensonge de la part du Gouvernement, d’autres se demandent si les outils d’évaluation de la recette fiscale ne sont pas finalement inadaptés face aux crises. Le rapporteur général du budget au Sénat s’est même rendu au ministère des finances pour effectuer un contrôle sur pièces et sur place (sur le fondement des art. 57 et 58 de la LOLF) et réclamer les notes techniques de l’administration de fin 2023. Selon ses observations, une première note en décembre prévoyait déjà que le déficit atteindrait au moins – 5,2 % en 2023, puis une seconde note en février annonçait – 5,6 % et prévoyait la nécessité de réaliser 30 Md€ d’économies budgétaires. Le rapporteur général de la commission des finances du Sénat dénonce donc une « rétention d’informations ». Le ministre des finances balaie ces accusations d’insincérité budgétaire. Pour ce faire, il met en avant les 5 Md€ d’annulations de crédits de paiement décidés par décret à l’automne 2023 (Décr. n° 2023-883 du 18 sept. 2023), et les 3 Md€ d’annulations de crédits décidés par le législateur, et conteste fermement que le Gouvernement ait eu l’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre financier. Le ministre des comptes publics a souligné que la note de la direction du Trésor de décembre 2023 recommandait de ne pas prendre de décisions au vu des incertitudes. Il est grand temps de faire débattre le Parlement…

Le lancement du concours « Lépine » des hausses d’impôts par le Premier ministre

Entre la proposition de taxe sur les rachats d’actions, celle du gel partiel du barème de l’impôt sur le revenu, ou encore de l’alourdissement de la CRIM sur les producteurs d’électricité formulées par certains parlementaires… et les propositions de rehaussement de la fiscalité, sans en avoir toutes les apparences aux yeux de l’opinion publique, par un abaissement des niches fiscales coûteuses (crédit d’impôt recherche, etc.), il semblerait bien que le Premier ministre soit venu rouvrir le concours « Lépine » des hausses d’impôts après avoir expliqué ne « pas avoir de dogme » en matière de débat fiscal, tout en posant « deux lignes rouges » à sa majorité à l’Assemblée nationale face au dérapage des comptes publics. L’objectif était-il d’éteindre l’incendie qui menace le Parlement ou au contraire de l’allumer pour semer la discorde chez les parlementaires de l’opposition à la veille des élections européennes ? Le débat fiscal est désormais ouvert. Les propositions de hausses d’impôts fleurissent çà et là, et les propositions fiscales des députés et des sénateurs semblent faire le printemps des finances publiques ! Comme le disait Clémenceau, la France est une terre fertile, on y sème des fonctionnaires et on y récolte de l’impôt ! Quant aux « deux lignes rouges  » évoquées par le Premier ministre : « la première, c’est de ne pas augmenter les impôts des classes moyennes qui travaillent et qui ont travaillé toute leur vie. […] Deuxième chose, je n’augmenterai pas les impôts pour ce qui permet de financer le travail des français ». Sur la taxation des contribuables les plus aisés, le Premier ministre a indiqué « attendre de voir des propositions crédibles » des oppositions, tout en rappelant que « la France n’est un paradis fiscal pour personne ». Cette profusion de propositions fiscales suscite des inquiétudes au ministère des finances et dans le monde des affaires. Le ministre des finances met en garde contre des mesures fiscales symboliques qui remettraient en cause la politique économique menée par le Gouvernement depuis sept ans. Il ne faudrait pas venir taxer les rachats d’actions, pour un rendement budgétaire médiocre, comme l’an passé avec la CRIM qui n’a finalement rapporté que 0,3 Md€ au lieu des 12,3 Md€ attendus par le Gouvernement. Ce dernier ne souhaite pas fragiliser la reprise économique en ébranlant la confiance des investisseurs. Le contexte actuel n’appellerait-il pas finalement à la prudence fiscale ? Il appartiendra au Parlement et au Gouvernement d’y répondre.

Le seuil d’importation du tabac en France désavoué par le Conseil d’État, suite et fin ?

Après une décision rendue par le Conseil d’État imposant à la France d’aligner ses quotas légaux d’importation de tabac sur les règles prévues par le droit de l’Union européenne (v. Repères, nov. 2023), le Gouvernement a donc attendu jusqu’au dernier moment pour modifier les règles en vigueur. Les magistrats administratifs du Palais royal avaient donné six mois au Gouvernement pour se mettre en conformité. Le délai expirant, le Gouvernement s’est exécuté à la fin du mois de mars (Décr. n° 2024-276 du 27 mars 2024 pris pour l’application de l’art. L. 311-19 du code des impositions sur les biens et les services). Depuis le 29 mars 2024, l’importation de tabac en France depuis un État de l’Union européenne n’est plus limitée. Ces dispositions ne concernent que les produits acquis par un particulier majeur et le tabac doit être acquis pour ses besoins propres. Ce décret fixe une liste de critères permettant d’établir s’il s’agit de produits acquis pour une consommation personnelle (quantité de produits ; l’activité économique ou le statut commercial ; le mode de transport utilisé ; le lieu où se trouvent ces produits ; la destination lorsqu’elle diffère du lieu de résidence habituelle, etc.). Les douaniers devront désormais s’appuyer sur ces indices pour déterminer si la marchandise est importée à des fins de consommation personnelle ou à des fins commerciales. Ce décret ne concerne pas l’Andorre, Monaco, la Suisse, les îles Canaries, les îles anglo-normandes, les départements et régions d’Outre-mer et les collectivités et territoires d’Outre-mer.

->Impôts sur le revenu

Immobilier et tourisme : la « niche fiscale Airbnb » attaquée devant le Conseil d’État

À l’initiative de sénateurs de plusieurs bords politiques, LR et communistes, ce qui est assez rare pour être souligné, à l’automne dernier, une disposition contenue dans l’article 45 de la loi de finances pour 2024 (v. E. Coulon, « Niche fiscale Airbnb » : le feuilleton continue devant le Conseil d’État, Le Club des juristes, mars 2024) est venue abaisser l’abattement fiscal sur les locations de meublés touristiques à 30 % (au lieu de 71 % s’il réalisait moins de 188.700€ de CAHT par an pour ces activités en BIC) dans les zones tendues. Le Gouvernement n’était pas favorable à cette disposition qu’il estimait trop brutale, préférant un abaissement à 50 %. En raison du recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, le Gouvernement a maintenu cette disposition par erreur dans la loi de finances pour 2024. Il a toujours indiqué qu’il souhaitait « corriger » cette disposition, éventuellement par une loi de finances rectificative au cours de l’année 2024. De manière inhabituelle, l’Administration fiscale, par une actualisation de son commentaire au BOFIP publiée en février dernier, est venue autoriser les contribuables à utiliser le taux antérieur pour les revenus de 2023, en dépit donc de la loi de finances pour 2024. Dans son commentaire actualisé, l’administration fiscale reconnaît que « les dispositions de l’article 45 de la loi finances sont réputées s’appliquer aux revenus de l’année 2023, y compris lorsqu’elles ont pour effet de faire basculer des contribuables du régime des micro-entreprises vers un régime réel d’imposition du fait de la baisse du seuil de chiffre d’affaires d’application du régime des micro-entreprises » et admettant que les contribuables « puissent » donc appliquer ces dispositions dès maintenant. Mais, « afin de limiter les conséquences d’une application rétroactive à des opérations déjà réalisées », les contribuables sont également autorisés à « appliquer aux revenus 2023 » les dispositions antérieures à la loi de finances pour 2024. Autrement dit, les contribuables concernés peuvent fermer les yeux sur l’article 45 de la loi de finances pour 2024, et faire comme si cette disposition n’existait pas. Le temps, sans doute, que la prochaine loi de finances corrige l’erreur gouvernementale… Cette étonnante liberté laissée aux propriétaires de meublés touristiques de faire ce qu’ils veulent a donc suscité plusieurs recours devant le Conseil d’État, de la part des sénateurs à l’initiative de la disposition, mais aussi de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) qui « regrette que les avancées obtenues au Sénat dans la loi de finances 2024, ne trouvent pas à s’appliquer aux revenus 2023 en laissant la possibilité aux propriétaires d’opter pour un régime fiscal plus favorable », estimant cette décision « d’autant plus incompréhensible en pleine de crise du logement ». Si les requérants dénoncent la non application de la loi de finances pour 2024, et donc l’atteinte au principe de légalité de l’impôt, permettant à certains loueurs de meublés touristiques, dont les chiffres d’affaires ne sont pas les plus significatifs, faut-il le rappeler, d’alléger substantiellement leur déclaration fiscale contrairement à ce que la loi fiscale prescrit, il est plus que probable que la décision du Conseil d’État intervienne après la période déclaratoire de 2024 à l’impôt sur les revenus de 2023, avec modulation dans le temps, et d’ici là, une nouvelle modification de ce régime d’imposition sera peut-être intervenue à l’initiative du Gouvernement. En effet, dans une décision du 18 mars dernier, le Conseil d’État a rejeté la requête en référé en estimant qu’il n’y avait pas de « situation d’urgence telle qu’elle justifie la suspension de son exécution sans attendre le jugement au fond ». À suivre…

->Dépenses fiscales

Faut-il supprimer ou réduire l’avantage fiscal favorable aux associations déviantes ?

Un récent éclairage de la Cour des comptes (C. comptes, Le contrôle de la générosité publique au service d’une plus grande transparence, mars 2024) vient rappeler que, depuis la loi du 7 août 1991, après le scandale financier de l’Association de recherche sur le cancer (ARC), la Cour des comptes a vocation, dans le respect de la liberté associative, à soutenir la confiance accordée aux organismes sans but lucratif afin de rassurer les donateurs et de maintenir le dynamisme de l’action caritative, en contrôlant la conformité de l’emploi des dons versés aux missions sociales des organismes caritatifs. L’ordonnance du 23 mars 2022 prévoit que la Cour des comptes élabore tous les deux ans un rapport, remis au Gouvernement et au Parlement, rendant compte de ses activités de contrôle des organismes faisant appel à la générosité publique ou bénéficiant de dons ouvrant droit à un avantage fiscal, et des suites données aux déclarations de non-conformité. Depuis 1996, la Cour des comptes a procédé à 51 opérations de contrôle. Une grande variété de structures juridiques (associations, fondations, fonds de dotation…) et de causes défendues (scientifique, sociale, humanitaire, sportive…) ont fait l’objet de vérifications. Les deux tiers des structures les plus importantes -collectant annuellement plus de 10 M€ – ont été visités par les magistrats financiers. Globalement, le bon usage des fonds collectés et la transparence vis-à-vis des donateurs sont assurés. La Cour des comptes salue « des efforts de professionnalisation accrus » du secteur associatif.

Depuis 2009, les contrôles de la Cour peuvent déboucher sur une « décision de non-conformité » en cas de manquements les plus graves (frais de collecte excessifs, emploi des fonds à des finalités autres que celles indiquées aux donateurs, dépenses intéressées, etc…). La question de l’inefficacité des sanctions actuelles est donc posée. Ce n’est qu’à cinq reprises qu’une telle décision a été arrêtée par la Cour des comptes (Union nationale des aveugles et déficients visuels, Fondation Assistance aux animaux, Fondation agir contre l’exclusion, SOS Éducation et le fonds de dotation Lucie Care). Cette décision de la Cour des comptes ne fait aujourd’hui l’objet d’aucune communication obligatoire aux donateurs. Elle ne se traduit par aucune conséquence financière directe. C’est au ministère des finances qu’il appartient de suspendre ou non l’agrément fiscal de la structure incriminée, c’est-à-dire de retirer à ses donateurs le bénéfice de la réduction d’impôt sur le revenu de 66 % à 75 % du montant versé. Mais le ministre des finances est souvent circonspect lorsqu’il s’agit de retirer unilatéralement un tel acte administratif faisant grief, qui signe la disparition des associations concernées. On pense à la suspension prononcée en 2023 à l’encontre du fonds de dotation Lucie Care… qui a été placé en liquidation judiciaire. S’il a bien mené quelques projets destinés aux jeunes déficients visuels en conformité avec son objet social, il a surtout consacré l’essentiel de ses dépenses à la recherche de fonds. Pour ces motifs, la Cour des comptes avait attesté que les dépenses engagées pour les exercices 2017 à 2019, par le fonds de dotation Lucie Care, n’avaient pas été conformes aux objectifs poursuivis par l’appel public à la générosité, ce qui avait conduit la Cour des comptes à formuler une déclaration de non-conformité (v. C. comptes, Le fonds de dotation Lucie Care, juin 2022). Pour les magistrats de la Cour des comptes, le fait qu’une telle sanction ne soit presque jamais prononcée par le Gouvernement signifie qu’elle n’est pas adaptée. Faut-il mettre en place une riposte plus graduée, en réduisant l’avantage fiscal des structures associatives déviantes plutôt qu’en le supprimant ? L’administration fiscale n’y est pas favorable pour des raisons pratiques aisément déchiffrables…

Faut-il rogner l’avantage fiscal des services à la personne ?

Un autre récent éclairage de la Cour des comptes (C. comptes, Le soutien de l’État aux services à la personne, mars 2024) revient sur le coût du soutien public aux services à la personne (ménage, jardinage, garde d’enfants, etc.). En 2022, les services à la personne ont représenté plus de 8,8 Md€ de soutiens spécifiques aux 4,4 M d’utilisateurs qui y ont eu recours. Ils regroupent 26 secteurs de nature très diverse, relevant de besoins sociaux essentiels comme de services de la vie quotidienne. Ces activités bénéficient de soutiens publics en développement régulier, reposant principalement sur un crédit d’impôt en faveur de l’emploi direct ou indirect d’un salarié à domicile, généralisé en 2018. Dans un contexte sous tension, la Cour des comptes a examiné ces soutiens de l’État sous l’angle de la qualité de la dépense publique. Elle propose des perspectives d’évolution qui, sans dégrader la réalisation des principaux objectifs de ces soutiens, sont porteuses d’économies. Dans ce rapport, les magistrats financiers de la rue Cambon se penchent sur le soutien de l’État aux services à la personne. Le coût de ces aides est significatif et le rapport préconise une réduction de 10 % en volume. Ces dispositifs de soutien sont trop complexes, peu ciblés, de plus en plus coûteux et pas toujours efficaces. La Cour des comptes invite le Gouvernement à les rationaliser dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025.

Les dépenses fiscales de l’État pour soutenir les services à domicile ont bondi de moitié en dix ans, alors même que le nombre d’heures travaillées est resté globalement stable. Cette évolution s’explique par la progression des salaires et la généralisation du crédit d’impôt en 2018 au lieu d’une réduction d’impôt qui ne profitait qu’aux foyers imposables auparavant. La Cour des comptes souligne aussi le recours croissant à des sociétés à but lucratif, dont la marge vient gonfler le coût pour l’État. Le bilan du dispositif est décevant. Le nombre d’emplois créés – environ 70 000 équivalents temps plein depuis 2005 – est jugé « insignifiant ». Si le soutien de l’État a indéniablement contribué à faire reculer le travail dissimulé, les ressources financières investies semblent être disproportionnées selon la Cour des comptes. Enfin, les magistrats financiers soulignent que ce sont les foyers fiscaux les plus aisés qui accaparent l’essentiel des aides, quand bien même elles ne sont pas déterminantes dans leur décision de recourir aux services à domicile. Une part significative du soutien public correspond à une forme d’effet d’aubaine selon la Cour. Cette dernière propose donc une refonte complète du dispositif. La première étape consisterait à supprimer les diverses exonérations de cotisations sociales et les taux de TVA réduits des services à la personne. Les activités de confort de la vie quotidienne (ménage, jardinage, bricolage) verraient leur avantage fiscal significativement raboté (taux réduit de 50 % à 40 % et plafond du crédit d’impôt abaissé de 6 000 à 3 000 €). Celles relevant de l’autonomie (pour les personnes âgées ou handicapées) ou de l’accueil des jeunes enfants seraient au contraire mieux soutenues, via des majorations de l’avantage fiscal ou un gonflement des prestations sociales. Selon la Cour des comptes, les perdants seraient essentiellement les foyers fiscaux les plus aisés qui recourent à des activités de confort. Le risque de les voir rebasculer dans l’économie informelle est faible, car même avec un crédit d’impôt de 40 %, le coût du travail déclaré resterait avantageux par rapport au travail dissimulé. Quant à la bronca des entreprises concernées, elle est inévitable, comme le soulignait un ancien président de la commission des finances du Sénat, dans chaque niche fiscale il y a un « chien » susceptible de mordre lorsqu’on lui retire « sa niche »…

->Fiscalité locale

Le lancement du chantier de « l’autonomie fiscale » de la Corse ?

Si le Gouvernement s’est mis d’accord avec les élus corses sur le principe des « écritures constitutionnelles » pour assurer un « statut d’autonomie » à l’île de beauté, le plus compliqué reste à faire en vue de l’obtention d’un vote favorable du Parlement autour d’une loi organique, devant définir les modalités – notamment financières et fiscales – de l’autonomie de la Corse. Si l’accord ne mentionne pas une « autonomie fiscale » de la Corse toutes les discussions portent dessus. Le ministère de l’intérieur renvoie à la future loi organique le soin d’avancer sur le sujet. Dans la perspective de cette discussion, le 8 mars 2024, une délégation de la commission des finances de l’Assemblée nationale, conduite par son président et son rapporteur général, a souhaité rencontrer la CRC de Corse lors de son déplacement de deux jours en Corse dans le cadre des travaux sur le processus d’autonomie. Cela a été l’occasion pour la CRC de Corse d’apporter aux députés des éclaircissements sur la situation financière des collectivités territoriales insulaires, ainsi que sur les principaux constats dressés dans ses récents rapports d’observations. Selon le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, « à partir du moment où vous rentrez dans un cadre d’autonomie, il est difficile de penser que la fiscalité en est exclue ». Selon le député Castellani, la Corse fait déjà l’objet de toute une série de dispositifs fiscaux qui se sont accumulés au fil du temps (crédit d’impôt pour l’investissement en Corse, exonérations temporaires sur les droits de succession immobilière, impôt foncier des entreprises minoré, taxes minorées sur les carburants, les tabacs ou encore sur les vins produits et consommés en Corse, etc.) et la discussion actuelle permettrait de remettre à plat ces dispositifs fiscaux dans un souci de plus grande efficacité et lisibilité afin de permettre le développement et la pérennité des entreprises en Corse. A l’inverse, d’autres parlementaires estiment que ce n’est pas aux seuls insulaires de dessiner et mettre en application le futur cadre fiscal.

Le rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale considère qu’il y a toujours une contradiction entre l’appétence pour l’autonomie fiscale et le devoir de solidarité financière. Si un certain nombre d’élus insulaires veulent pouvoir lever l’impôt à l’avenir, lorsque l’impôt baissera, la collectivité de Corse pourra-t-elle en même temps conserver sa faculté de solliciter l’État pour équilibrer ses comptes publics ? Face à la demande d’autonomie fiscale réclamée par les élus de la Corse, son contenu et ses modalités restent à définir car il existe plusieurs options envisageables : un reversement direct des impôts prélevés par l’État ? Un pouvoir de lever l’impôt pour la collectivité de Corse ? Une simple retouche des leviers fiscaux actuels ? Il ne faudrait pas que l’autonomie fiscale se traduise par une taxation beaucoup plus élevée des non-résidents, ni que cela génère un possible renforcement de la corruption et des comportements fiscalement frauduleux sur l’île. L’autonomie de la Corse, avant d’être consacrée par le constituant, doit donc, au préalable, être encadrée et contrôlée par le législateur organique.

La proposition de refonte du dispositif de l’octroi de mer par la Cour des comptes

Dans un rapport rendu public le 5 mars dernier, la Cour des comptes s’intéresse à l’octroi de mer, l’un des plus anciens systèmes d’imposition français (cf. V. Sempastous, « La persistance de l’octroi de mer : quels enseignements pour l’évolution de la fiscalité locale ? », Gestion & fin. Publ. n°2020/2, pp. 59-64). Il a été supprimé en France métropolitaine depuis 1943 mais se maintient en outre-mer où il est perçu comme un facteur essentiel du principe de libre administration des collectivités territoriales de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique, de Mayotte et de La Réunion et constitue une ressource significative pour celles-ci, soit environ un tiers de leurs recettes. En 2022, les recettes nettes globales de l’octroi de mer ont atteint un niveau historique de 1,6 Md€. Les opérations soumises à l’octroi de mer sont les importations de biens et les livraisons de biens, faites à titre onéreux, par des personnes qui y exercent des activités de production. L’octroi de mer a évolué à partir de la fin des années 1990 pour se conformer aux règles européennes interdisant, en principe, les taxes d’effet équivalent à des droits de douane au sein du marché unique. La Cour des comptes regrette également que l’octroi de mer ne soit pas suffisamment prévisible et suffisamment transparent pour les contribuables (choix des exonérations facultatives, changement de taux…) alors même que le coût cumulé des exonérations d’octroi de mer est significatif (490 M€ par an). Finalement, l’octroi de mer, en ayant pour effet de maintenir une dépendance aux importations pour garantir un certain niveau de ressources fiscales aux collectivités locales, ne permet pas de modifier le modèle de commerce extérieur existant. La Cour des comptes, au terme de son analyse, propose trois scénarios pour l’avenir de l’octroi de mer : d’une part, le statu quo qui semble inenvisageable pour la Cour des comptes ; d’autre part, un scénario « de rupture » pour lequel la Cour des comptes propose de substituer à l’octroi de mer une nouvelle ressource ressemblant à la TVA, suite à une expérimentation préalable et nécessaire ; enfin un scénario « réformiste » visant à renforcer le pilotage et le contrôle de l’octroi de mer, d’optimiser l’emploi des ressources de l’octroi de mer, d’adopter des mesures de simplification du dispositif et d’atténuer les effets de l’octroi de mer sur le niveau des prix.

->Impôts sur les sociétés

La CRIM se voit infliger tous les châtiments…

Comment ne pas penser à ce chef d’œuvre de la littérature russe, publié en feuilleton romanesque, au milieu du XIXe siècle, qui dépeint l’assassinat d’une vieille prêteuse sur gage sur fond de pauvreté et d’exclusion sociale… Ici, dans la présente affaire, la victime semble être une imposition : la contribution sur les rentes inframarginales des producteurs d’électricité (CRIM), mise au pilori dans une situation comptable dégradée. Elle subit donc ce mois-ci les foudres de l’opposition parlementaire alors que le ministre des finances prévoit de la reconduire en 2025 tout en améliorant le dispositif initial. Cette remarque fait écho aux vives critiques exprimées par la Cour des comptes à propos de la CRIM, jugée peu efficace. Les magistrats financiers ont dénoncé des failles dans le dispositif, qui ont permis aux producteurs, distributeurs et intermédiaires des marchés de gros de l’électricité de générer 30 Md€ de marges bénéficiaires à la faveur de la crise énergétique – quand l’État espérait recouvrer au titre de la CRIM 12,3 Md€ (loi de finances initiale), puis 2,8 Md€ (loi de finances de fin de gestion), pour ne finalement encaisser que 0,3 Md€ – soit moins de 1 % des marges bénéficiaires empochées par les producteurs, distributeurs et intermédiaires du marché de l’électricité. Dans son rapport, la Cour des comptes invite le Parlement à faire évoluer le champ et les modalités de calcul de la CRIM, afin d’en améliorer son rendement budgétaire. Le Gouvernement veut donc prolonger la durée de vie de la CRIM d’une année supplémentaire, afin de donner des gages à sa majorité parlementaire qui réclame des hausses ciblées d’impôts. Si le Gouvernement est favorable à un durcissement du dispositif, les modalités restent à déterminer. Faut-il revoir le champ d’application ? faut-il abaisser les seuils des marges taxables ? Quant aux producteurs d’énergie électrique, ils questionnent sa validité juridique. Le bras de fer juridique avec les producteurs d’électricité devant le Conseil d’État s’annonce vif, puisqu’ils dénoncent l’irrégularité du dispositif qui dépasserait largement le cadre du règlement européen dans lequel il était censé s’inscrire à l’origine, alors qu’il avait vocation à être limité dans le temps. La Commission européenne a conclu en juin 2023 qu’il était préférable de ne pas prolonger le plafonnement, car le dispositif engendrait trop de divergences d’un État à l’autre et pouvait provoquer un dérèglement du marché. Un recours a été déposé au niveau européen par des producteurs belges. La décision de la CJUE pourrait avoir une incidence sur l’application passée et future de la CRIM en France.

->Fiscalité environnementale

Le nouveau crédit d’impôt « industrie verte » séduit les investisseurs

Adopté dans le cadre de la loi dite « industrie verte » (L. n°2023-973 du 23 oct. 2023 relative à l’industrie verte – entré en vigueur le 14 mars 2024), le C3IV a pour ambition d’accompagner les entreprises dans le financement de projets industriels clés de la transition énergétique, et permettre à la France de se positionner comme leader de l’industrie verte en Europe. Le C3IV doit permettre aux entreprises de réaliser de nouveaux projets industriels dans quatre filières clés de la transition énergétique (batteries, éolien, panneaux solaires, pompes à chaleur). Ce crédit d’impôt soutient l’ensemble de la chaîne de production de ces secteurs, allant de la production d’équipements et de composants essentiels, à la production ou la valorisation de matières premières critiques. L’entreprise porteuse d’un projet de production de composants essentiels ou de matières premières critiques devra justifier qu’au moins 50 % de son chiffre d’affaires sera réalisé avec des entreprises exerçant des activités de production en aval de la chaîne de production des quatre filières précitées. La liste définitive des activités éligibles au nouveau crédit d’impôt est précisée par arrêté ministériel (v. Arr. du 11 mars 2024, JORF du 13 mars 2024). Le C3IV est un levier pour aider la France à accueillir de nouvelles capacités de production industrielle sur son territoire. Selon les estimations du Gouvernement, le C3IV doit générer 23 Md€ d’investissements et la création de 40.000 emplois directs d’ici 2030. Il doit par ailleurs permettre de réduire les émissions de 35 millions de tonnes de CO2. Il constitue à ce titre l’une des mesures les plus incitatives en Europe en faveur du soutien aux industries vertes. A ce jour, selon le ministère des finances, 20 demandes d’agrément ont été déposées, couvrant les quatre filières concernées, pour un montant total d’investissement de 1,8 Md€, dont 44 % pour la filière des batteries. En riposte au plan d’investissement massif des États-Unis baptisé Inflation Reduction Act (IRA), l’Union européenne avait invité les États membres à favoriser les investissements industriels sur leur sol. La France a donc misé sur cette nouvelle niche fiscale, reprise dans le projet de loi de finances pour 2024 permettant aux industriels de se faire rembourser 20 à 45 % de leurs investissements, s’ils bâtissent de nouvelles capacités de production tricolores dans ces quatre secteurs jugés stratégiques pour la transition écologique et énergétique.

->Procédures fiscales

Lutte contre la fraude fiscale : des résultats historiquement stables !

Le chef du Gouvernement a présenté au mois de mars avec le ministre des comptes publics, le bilan de la lutte contre les fraudes fiscales, sociales et douanières (cf. supra). En 2023, ce sont 15,2 Md€ qui ont été réclamés par l’administration fiscale, en hausse depuis 2020 (8,2 Md€ en 2020, 13,4 Md€ en 2021 et 14,6 Md€ en 2022). Toutefois, le montant des sommes réellement encaissées au titre de la lutte contre la fraude fiscale est hélas stable depuis 2021 (10,7 Md€ en 2021, 10,6 Md€ en 2022 et 2023) et l’année 2023 ne fait donc pas figure d’exception. On comprend dès lors que le volet fiscal n’ait pas fait l’objet de longs développements de la part du chef du Gouvernement alors que les montants effectivement encaissés plafonnent. Un chiffre qui est invariablement le même depuis trois ans suscite des interrogations de la part de l’opposition parlementaire. Le fer porté par le Gouvernement sur l’évitement de l’impôt connaîtrait-il un essoufflement ? En attendant les premiers travaux du Conseil d’évaluation des fraudes fiscales et sociales (v. Repères, oct. 2023), le Premier ministre considère qu’il n’y a pas de hiérarchie entre la fraude sociale et la fraude fiscale, car chaque fraude aux finances publiques est grave et doit être traquée. L’opposition parlementaire, et notamment la gauche radicale, dénonce ce focus assumé duGouvernement sur la lutte contre fraude sociale au détriment du renforcement de la lutte contre la fraude fiscale selon elle.

Vers une intensification de la lutte contre la fraude fiscale ?

Le Gouvernement entend bien renforcer la lutte contre la fraude fiscale, et plusieurs arguments militent en faveur d’une telle orientation de sa politique fiscale. D’une part, il faut rappeler que le Premier ministre avait lui-même relancé la mobilisation sur le sujet, il y a un an quand il occupait le poste de ministre des comptes publics avant de rejoindre Matignon. D’autre part, la lutte contre la fraude est un thème consensuel et politiquement fructueux à la veille des élections européennes, dans un contexte budgétaire difficile qui force le Gouvernement à rééquilibrer ses comptes publics. L’argumentaire du Premier ministre est rudimentaire : « mieux lutter contre la fraude, c’est éviter des augmentations d’impôts pour les français ». Le Gouvernement s’appuie sur un renforcement des moyens humains et technologiques. S’agissant des effectifs, le Gouvernement avait annoncé l’affectation de 1.500 agents supplémentaires à la lutte contre la fraude fiscale d’ici à 2027 (631 seraient en poste fin 2024). Les syndicats dénoncent des redéploiements d’effectifs, plutôt que de réels recrutements. Par ailleurs, un nouvel Office national antifraude aux finances publiques (ONAF) doit voir le jour au 1er juillet 2024. Ce service d’enquêteurs d’élite a vocation à remplacer le SNEJF (Service d’enquêtes judiciaires des finances), avec un périmètre élargi à l’ensemble des infractions portant atteinte aux finances publiques, et des effectifs doublés pour atteindre 80 officiers d’ici à 2025. Ce renforcement des moyens humains de contrôle s’accompagne d’un recours accru aux algorithmes. Le précédent, à partir de photos satellites, des piscines non déclarées par leurs propriétaires, ayant généré 40 M€ de recettes supplémentaires dans les caisses de l’État, la DGFIP souhaite le déployer pour identifier tous les bâtiments non déclarés. La même logique conduit au développement de la détection d’indices de fraude sur les réseaux sociaux. Les dispositions prévues en loi de finances pour 2024 ont également offert de nouvelles possibilités aux administrations fiscales (v. Repères, janv. 2024) pour améliorer non seulement la détection des fraudes, mais aussi le remboursement effectif des montants redressés et des pénalités éventuelles. Le Gouvernement souhaite même pouvoir suspendre le versement de toute aide publique sur simple signalement de Tracfin, en cas de soupçon de fraude.

MANAGEMENT PUBLIC
->Fonction Publique d’État

Le Gouvernement anime une nouvelle convention managériale de l’État

Le 12 mars dernier, le Président de la République et le Premier ministre sont intervenus auprès des cadres dirigeants de l’État pour fixer un cap à l’administration et l’enjoindre à mettre en œuvre les orientations prioritaires du gouvernement. Le Gouvernement a rappelé les six axes majeurs que l’administration doit poursuivre : (1) Remettre l’État au cœur des territoires et déployer des services de proximité, (2) Transformer la fonction publique, (3) Simplifier et améliorer la qualité de service en France comme à l’étranger, (4) Adapter l’administration aux grands enjeux numériques, écologiques et sociétaux, (5) Parachever la réforme de l’État territorial et (6) Changer de paradigme dans la simplification. Au-delà de ces objectifs prioritaires, le gouvernement souhaite que l’administration adopte une nouvelle méthode basée sur l’association des acteurs de terrain, un effort renforcé sur « le dernier kilomètre » et la responsabilisation des directeurs d’administrations déconcentrées.

Bercy publie une circulaire sur le volet « performance » du PLF pour 2025

En préparation des conférences de performance, la direction du Budget a publié une circulaire indiquant les axes de travail prioritaires concernant le volet « performance » des projets annuels de performance (PAP) du PLF pour 20251. Bercy souhaite que les indicateurs socioéconomiques de niveau programme figure au niveau de la mission et les programmes se recentrent sur des indicateurs relatifs à la performance de la gestion (qualité de service et efficience). Un effort doit également être fait pour harmoniser – lorsque cela est possible – les indicateurs prévus par la LOLF et les indicateurs du baromètre de l’action publique. Bercy souhaite également que les cotations issues du « Budget vert » soient discutées. Elles seront transmises en amont de chaque conférence par la direction du Budget. Enfin, des indicateurs d’égalité femme-homme devront également être intégrés.

La DITP lance officiellement son « Agence de conseil interne »

Le 26 mars dernier, la Direction Interministérielle de la Transformation Publique (DITP) a annoncé la création de son « Agence du conseil interne »2. Cette agence accompagnera les administrations dans la mise en œuvre de leurs politiques prioritaires et leurs projets de transformation. Sous l’égide du délégué interministériel à la transformation publique, cette agence compte déjà 53 agents, avec une prévision de 75 d’ici la fin de 2024. Les équipes de consultants internes doivent proposer accompagnements « sur mesure » aux administrations dans des domaines aussi variés que le design, les sciences comportementales, la facilitation, le coaching, etc. Cette initiative s’inscrit dans une stratégie globale visant à réduire le recours aux consultants externes3. En complément, une école de conseil interne a été mise en place, offrant des formations spécialisées et un diplôme d’excellence administrative en partenariat avec Centrale Supélec – INSP. Cette approche vise à renforcer les compétences internes de l’administration et à favoriser une gestion plus efficiente des ressources publiques.

Bercy annonce le lancement des travaux sur une foncière de l’État

Le 1er mars dernier, le ministre délégué aux comptes publics a annoncé le lancement des travaux sur la création d’une foncière de l’État4. Cette annonce fait suite aux annonces faites par le ministre lors du Conseil de l’immobilier du 29 février 2024 et aux recommandations émises par la Cour des Comptes (v. Repères, déc. 2023). Ce projet vise à optimiser la gestion d’un patrimoine colossal (94 M de m2 bâtis dont 23 M de m2 de bureaux) et à relever le défi de sa transition environnementale. Concrètement, la foncière de l’État transformerait le modèle actuel en instaurant un seul propriétaire auprès duquel les ministères loueraient leurs locaux. L’objectif est également de réduire de 25 % les surfaces de bureaux occupées par l’État, facilitant ainsi la rénovation des espaces de travail et d’accueil du public. Des travaux seront menés pour déterminer la nature juridique et financière du véhicule foncier, s’inspirant de modèles européens comme ceux de l’Allemagne et de la Finlande.

La feuille de route adressée au ministre de la transformation et de la fonction publiques

Le Premier ministre a transmis sa feuille de route au ministre de la transformation et de la fonction publiques pour réformer l’État et la fonction publique. Quatre priorités sont énoncées : (1) « simplifier et améliorer la qualité du service rendu aux usagers », (2) « faciliter l’accès aux services publics, notamment pour ceux qui en ont le plus besoin et renforcer notre souveraineté numérique », (3) « renforcer l’attractivité de la fonction publique en facilitant les recrutements, en améliorant les conditions de travail et en reconnaissant (le) travail (des agents publics) » et (4) « soutenir la transition écologique des territoires ». Des mesures concrètes sont prévues, telles que la simplification des démarches administratives, le renforcement de l’accessibilité numérique, l’amélioration des conditions de travail des agents publics, et l’engagement pour une transition écologique des territoires.

->Fonction Publique Territoriale

Une bonne situation financière bien que contrastée pour les collectivités territoriales

Le rapporteur général du budget, Jean-René Cazeneuve, évalue les comptes locaux de 2023 et constate une situation « plutôt positive » pour les finances publiques locales, avec une dynamique particulièrement favorable pour le bloc communal. Les indicateurs montrent une évolution positive de la capacité d’autofinancement du bloc communal, contrairement aux départements qui connaissent une baisse significative. Les recettes fiscales et les dépenses d’investissement augmentent pour toutes les strates de collectivités, avec une hausse notable des investissements du bloc communal. Cependant, la situation est plus contrastée pour les régions et les départements, avec des difficultés financières notamment liées à la chute des DMTO (cf. supra). Malgré ces défis, les finances publiques des collectivités territoriales restent globalement orientées de manière favorable, ce qui laisse entrevoir leur capacité à contribuer au redressement des comptes publics de la France.

Comment associer l’échelon territorial à l’effort de redressement des comptes publics ?

L’annonce par l’INSEE d’un déficit public dégradé à 5,5% du PIB en 2023 (cf. supra) a remis sur le devant de la scène la possibilité d’associer les collectivités territoriales à l’effort de redressement des comptes publics de la France. La pression politique est clairement désormais exercée sur les collectivités territoriales. En effet, le président de la République a expliqué que « la dépense publique n’est pas faite que de la dépense d’État » et le Premier ministre a demandé à la Cour des comptes de réfléchir à la participation des collectivités territoriales au redressement des comptes publics. Le millefeuille territorial est notamment dans le viseur du Gouvernement. Pour le ministre des finances, il n’est pas « légitime, juste et raisonnable que nous gardions encore un tel empilement d’échelons d’administrations locales ». À ce stade, on dispose de peu d’éléments sur les modalités concrètes qui permettront de générer des économies d’échelle dans la fonction publique territoriale5.

->Transitions

Publication du Plan de transformation écologique de l’État

Le 28 mars dernier, l’État a officiellement publié le Plan de transformation écologique de l’État6 censé concrétiser la circulaire « Service publics écoresponsables » (v. Repères, déc. 2023). Lors de cet événement, le Premier ministre a annoncé des objectifs chiffrés, notamment en matière de sobriété énergétique et de réduction des émissions de gaz à effet de serre liées aux déplacements. Le ministre délégué aux comptes publics a quant à lui mis en avant l’importance de l’innovation pour financer les investissements nécessaires, notamment dans la rénovation énergétique des bâtiments. Le gouvernement a également fixé de nouveaux objectifs pour la commande publique, avec une volonté d’intégrer davantage de clauses environnementales. Enfin, des programmes de formation à la transition écologique sont en cours de déploiement pour les cadres et les agents de la fonction publique. Concrètement, le plan comprend 15 engagements répartis en 6 axes : (1) mieux accompagner et outiller, (2) mieux permettre à nos agents de se déplacer, (3) mieux produire et consommer, (4) mieux nourrir nos agents, (5) mieux gérer nos bâtiments publics et (6) mieux protéger nos environnements de travail.

Le ministère des Armées veut développer une véritable stratégie pour l’IA

Le 8 mars, le ministre des armées a présenté la nouvelle stratégie en matière d’intelligence artificielle pour les armées françaises, accompagnée de la mise en place d’une agence dédiée, l’Agence ministérielle pour l’IA de défense (AMIAD). Cette initiative vise à renforcer les capacités opérationnelles dans les domaines de la surveillance, de la reconnaissance et de la prise de décision. L’agence, dirigée par Bertrand Rondepierre, recrutera 300 experts et disposera d’un supercalculateur dédié à l’IA. Implantée à l’École polytechnique et à Bruz, elle collaborera avec le secteur privé tout en maintenant une souveraineté technologique.

FISCALITÉ EUROPÉENNE ET INTERNATIONAL
->Fiscalité européenne

La CJUE exige des États membres de prévoir un système de remboursement de la TVA

Le 21 mars 2024, par son arrêt rendu dans l’affaire C 606/22, la Cour de Justice de l’Union européenne a exigé de la Pologne, et de l’ensemble des États membres, de prévoir un système de remboursement à l’assujetti de l’excédent de TVA dont le taux a été appliqué par erreur. En l’espèce l’entreprise avait appliqué, en raison d’une erreur d’interprétation de l’administration fiscale, le taux normal au lieu d’un taux réduit.

->Monnaies

Début mondial de la baisse des taux d’intérêt

Malgré la situation de la Turquie, où l’inflation atteint 70%, dont la banque centrale a augmenté à nouveau ses taux d’intérêt (pour atteindre désormais 50%) et celle du Japon où la Banque centrale a mis fin à la politique de taux négatifs qu’elle menait depuis huit ans, une baisse des taux d’intérêts est amorcée en Europe avec les mesures de la banque fédérale suisse qui, face à une inflation repassée sous 2% a réduit son taux d’intérêt de 1,75% à 1,5%, en attendant la baisse prévue en mai ou juin par la banque suédoise, en septembre par celle de Norvège, et avant que la Réserve fédérale américaine ne procède aux trois baisses qu’elle prévoit toujours en 2024.

FINANCES PUBLIQUES EUROPÉENNES
->Politique européenne

La troisième élévation de la dotation septennale de la Facilité européenne pour la paix exclusivement destinée à présent au renforcement du soutien accordé à l’Ukraine

Le 18 mars 2024, le Conseil de l’UE a adopté une décision 2024/890 (JOUE n° L, 2024/890, 19 mars 2024) modifiant, pour la quatrième fois depuis son adoption en 2021, l’acte établissant la Facilité européenne pour la paix (FEP : décision 2021/509 du Conseil du 22 mars 2021, JOUE n° L 102 du 24 mars 2021) qui, conformément à l’article 41 du traité sur l’UE, constitue l’instrument extrabudgétaire assurant, dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), le financement par les États membres des dépenses opérationnelles afférentes non seulement aux opérations de l’UE ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense qui ne peuvent en aucun cas être prises en charge par le budget de l’UE mais aussi des dépenses opérationnelles relatives aux mesures d’assistance qu’à l’unanimité le Conseil décide de faire échapper audit budget de l’UE. Confirmant le soutien militaire durable de l’UE à l’égard de l’Ukraine, cette quatrième modification s’inscrit dans la continuité de deux des précédentes en ce qu’elle consiste à relever le plafond financier pluriannuel dédié à cet instrument (cf. tableau infra). Le caractère extrabudgétaire de la FEP a certes pour effet de la faire échapper à l’emprise du cadre financier pluriannuel (CFP) applicable conformément à l’article 312 du TFUE au budget de l’UE mais, pour autant, pas à tout plafonnement pluriannuel. En effet, contrairement à son prédécesseur Athena, la FEP est soumise par son acte fondateur à un plafond septennal pour une période (2021-2027) jumelle à celle du CFP. Fixé quant à lui d’emblée en euros courants, il s’élevait initialement à 5,692 Md€ sachant que ce montant pluriannuel fait parallèlement lui-même l’objet dans la décision FEP d’une ventilation annuelle contraignante moyennant une flexibilité bienvenue à hauteur de 15 % maximum et dans la limite naturellement dudit plafond. Inutile de dire que se manifestant notamment par la fourniture d’équipements délivrant une force létale particulièrement onéreux, la solidarité de l’UE à l’égard de l’Ukraine a tôt fait d’épuiser les crédits disponibles, motivant ainsi plusieurs relèvements dont le dernier en date n’est pas le moins significatif – 5 Md€ supplémentaires contre respectivement 2,287 Md€ en mars 2023 et 4,061 Md€ en juin 2023 – portant le plafond à 17,040 Md€, soit le triple de celui arrêté en 2021.

Fixation et modification du plafond pluriannuel applicable à la FEPPlafond 2021-2027 en millions €
Décision (PESC) 2021/509 du Conseil du 22 mars 2021 établissant une facilité européenne pour la paix5 692
Décision (PESC) 2023/577 du Conseil du 13 mars 2023 modifiant la décision (PESC) 2021/5097 979
Décision (UE) 2023/1304 du Conseil du 26 juin 2023 modifiant la décision (PESC) 2021/50912 040
Décision (PESC) 2024/890 du Conseil du 18 mars 2024 modifiant la décision (PESC) 2021/50917 040

Outre par son volume, cette dernière élévation se singularise par l’affectation qui l’accompagne. Les 5 Md€ en sus (soit 30 % de l’enveloppe globale) sont exclusivement destinés à la fourniture d’un soutien supplémentaire à l’Ukraine, ce qui, sans guère de surprise, confirme que si la FEP dispose d’une dimension mondiale itérativement rappelée par le Conseil notamment dans le préambule des actes modificatifs, l’effort financier consenti au soutien de l’Ukraine est nettement prédominant. Il apparaît en effet qu’avant même ce rehaussement, près de la moitié de la dotation septennale – de l’ordre de 5,8 Md€ – avait d’ores et déjà été allouée aux mesures en faveur de l’Ukraine (cf. tableau infra), ce qui, avec l’élévation fléchée, devrait porter la part aux deux tiers à tout le moins, et ce d’autant que, dans la logique du soutien à l’Ukraine « aussi longtemps qu’il le faudra » (cons. n°1), le préambule de l’acte modificatif précise que : « d’autres augmentations annuelles comparables pourraient être envisagées jusqu’en 2027 sur la base des besoins ukrainiens et sous réserve des orientations politiques du Conseil » (cons. n°15).

Mesures PESC de l’UE financées par la FEP au soutien de l’UkraineRéférence financière en millions €Actes de base (y compris modificatifs)
OpérationMission d’assistance militaire de l’Union européenne en soutien à l’Ukraine (EUMAM Ukraine)106,7Décision (PESC) 2022/1968 du Conseil du 17 octobre 2022
AssistanceSoutien des forces armées ukrainiennes par la fourniture de munitions1 000Décision (PESC) 2023/927 du Conseil du 5 mai 2023
Soutien des forces armées ukrainiennes formées par la mission d’assistance militaire de l’Union européenne en soutien à l’Ukraine55Décision (PESC) 2023/2677 du Conseil du 27 novembre 2023 Décision (PESC) 2023/231 du Conseil du 2 février 2023
Fourniture aux forces armées ukrainiennes formées par la mission d’assistance militaire de l’Union européenne en soutien à l’Ukraine d’équipements et de plateformes militaires conçus pour libérer une force létale200Décision (PESC) 2023/2689 du Conseil du 27 novembre 2023 Décision (PESC) 2022/2245 du Conseil du 14 novembre 2022
Fourniture aux forces armées ukrainiennes d’équipements et de plateformes militaires conçus pour libérer une force létale4 120Décision (PESC) 2023/810 du Conseil du 13 avril 2023 Décision (PESC) 2023/230 du Conseil du 2 février 2023 Décision (PESC) 2022/1971 du Conseil du 17 octobre 2022 Décision (PESC) 2022/1285 du Conseil du 21 juillet 2022 Décision (PESC) 2022/809 du Conseil du 23 mai 2022 Décision (PESC) 2022/636 du Conseil du 13 avril 2022 Décision (PESC) 2022/471 du Conseil du 23 mars 2022 Décision (PESC) 2022/338 du Conseil du 28 février 2022
Soutien des forces armées ukrainiennes380Décision (PESC) 2023/229 du Conseil du 2 février 2023 Décision (PESC) 2022/1972 du Conseil du 17 octobre 2022 Décision (PESC) 2022/1284 du Conseil du 21 juillet 2022 Décision (PESC) 2022/810 du Conseil du 23 mai 2022 Décision (PESC) 2022/472 du Conseil du 23 mars 2022 Décision (PESC) 2022/637 du Conseil du 13 avril 2022 Décision (PESC) 2022/339 du Conseil du 28 février 2022
Soutenir des forces armées ukrainiennes31Décision (PESC) 2021/2135 du Conseil du 2 décembre 2021

Source : traitement de l’auteur à partir des actes de base.

S’agissant de ce « montant spécifique » de 5 Md€s supplémentaires exclusivement dédiés à l’Ukraine, le Conseil a en outre conçu un dispositif ad hoc d’exemption contributive présenté comme exceptionnel. Il consiste en somme à étendre le champ de la différenciation. L’on sait ainsi qu’en application du traité UE lui-même (art. 41 § 2, al. 2), ne sont pas tenus de contribuer aux dépenses afférentes à des opérations ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense, les États membres dont les représentants se sont abstenus à leur propos et ont exprimé une déclaration formelle. L’on sait également que, s’inspirant de ce mécanisme, la décision établissant la FEP l’étend en quelque sorte aux mesures d’assistance autorisant la fourniture d’équipements ou de plateformes militaires conçus pour libérer une force létale, moyennant cependant une différence fondamentale tenant à ce que l’État exempté doit d’une certaine manière compenser en versant une contribution supplémentaire en faveur d’une mesure d’assistance d’une autre nature. Pas moins de quatre États membres ont recours à cette faculté s’agissant de cette catégorie de mesures d’assistance au profit de l’Ukraine. À la différence notable de la Hongrie, l’Irlande, l’Autriche et Malte précisent toutefois dans leur déclaration formelle qu’elles contribueront aux autres mesures d’assistance au profit de l’Ukraine (cf. par exemple le document n°2408/23 du Conseil de l’UE en date du 13 avril 2023). Cette ligne de partage au sein des abstentionnistes – en clair la position hongroise – explique sans doute les raisons pour lesquelles la rallonge de cinq milliards exclusivement dédiée au soutien de l’Ukraine s’accompagne exceptionnellement d’un mécanisme spécifique d’exemption permettant, moyennant abstention constructive, d’être exonéré de l’obligation de contribuer à tous types de mesures d’assistance au profit de l’État candidat agressé, et non uniquement à celles autorisant la fourniture d’équipement conçus pour libérer une force létale, ce qui constitue un périlleux précédent au détriment de l’unité européenne.

Préparer l’UE à son élargissement… et à l’avenir de ses politiques et de son budget

Le 20 mars 2024, à quelques semaines des vingt ans de l’inédit élargissement du 1er mai 2004 à dix nouveaux États membres, la Commission a présenté au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil, une communication portant précisément « sur les réformes et les réexamens des politiques avant élargissement » (COM (2024) 146 final). Il faut dire qu’indépendamment du cas particulier – et pour tout dire gelé – de la Turquie, l’UE a reconnu, au cours des deux dernières décennies, le statut d’État candidat à une petite dizaine d’États (Macédoine du Nord, Monténégro, Serbie, Albanie, Moldavie, Ukraine, Bosnie-Herzégovine et Géorgie) et ouvert, avec la quasi-totalité d’entre eux, les négociations d’adhésion dans un esprit résolument plus positif que celui prévalant encore assez largement avant l’agression de la Russie à l’égard de l’Ukraine. Dans leur déclaration de Grenade du 6 octobre 2023, les chefs d’État et de Gouvernement présentent ainsi l’élargissement comme « un investissement géostratégique dans la paix, la sécurité, la stabilité et la prospérité » mais ajoutent que, dans cette perspective d’une Union élargie, « tant l’UE que les futurs États membres doivent être prêts ». La communication de la Commission s’inscrit pleinement dans cette forme de parallélisme au cœur de la dialectique élargissement/ approfondissement. Si le collège rappelle que, conformément aux orientations définies par le Conseil européen, les candidats doivent être évalués « sur la base de leurs mérites propres », elle poursuit en affirmant que « dans le même temps, l’UE doit respecter ses engagements et être prête à accueillir de nouveaux États membres. L’UE doit s’approfondir à mesure qu’elle s’élargit. Nous devons commencer à nous préparer aujourd’hui à l’Union de demain et utiliser l’élargissement comme catalyseur de progrès » (p. 2). C’est dans cet esprit que la Commission « jette les bases des réexamens des politiques avant élargissement » (p.2) qui seront appelés à se traduire par « des propositions de réforme de fond dans différents secteurs, y compris la préparation de la proposition de la Commission pour le prochain cadre financier pluriannuel » (p. 24). La Commission ne manque toutefois pas de souligner que l’élargissement est loin « d’être le seul sujet qui exercera une pression sur le budget à long terme de l’Union ». En effet, il « s’ajoute à la nécessité inévitable d’un budget de l’UE modernisé, plus simple et plus souple, qui réponde de manière adéquate à ces défis [instabilité mondiale, menaces importantes pour la sécurité, incidence financière de la reprise post-COVID] ainsi qu’à des domaines clés nécessitant des investissements communs, une action coordonnée et des réformes conjointes, comme les transitions écologique et numérique, la recherche et l’innovation ou la sécurité et la défense » (p. 21). Autrement dit, l’exécutif budgétaire met en exergue la nécessité de repenser les politiques et programmes européens indépendamment même de l’élargissement tout en le gardant à l’esprit.

Dans cette optique, le collège se prononce en faveur de la réforme du système des ressources propres de manière à en atténuer les incidences sur les budgets nationaux. Enfin, la Commission aborde la question de l’adaptation de la gouvernance à une Union élargie non sans rappeler que sont demeurées lettre morte ses propositions d’actionner les clauses passerelles qui, à ses yeux, peuvent être combinées « avec des garanties appropriées et proportionnées pour tenir compte de[s] intérêts nationaux stratégiques » en les accompagnant de conclusions du Conseil européen prévoyant la possibilité pour une ou plusieurs délégations nationales de déclencher « un frein d’urgence » emportant par exemple la saisine de l’instance sommitale (p. 23). Dans les conclusions de sa réunion des 21 et 22 mars 2024, le Conseil européen annonce qu’il « se penchera sur les réformes internes lors d’une prochaine réunion en vue de l’adoption, d’ici à l’été 2024, de conclusions sur une feuille de route pour les travaux futurs » (EUCO 7/24, p. 10, point 29). De son côté, la Commission affirme qu’elle procèdera aux réexamens précités au début de l’année 2025 (p. 24), ce qui, dans la perspective de la préparation du CFP post-2027, n’est pas particulièrement précoce dès lors qu’eu égard à l’âpreté des négociations au Conseil, la Commission présente généralement ses propositions deux ans et demi avant l’échéance du cadre en cours.

->Protection des intérêts financiers de l’Union européenne

La communication de l’Office de lutte antifraude confrontée à la protection des données à caractère personnel

Dans un arrêt sur pourvoi OC c/ Commission en date du 7 mars 2024 (Aff. C-479/22 P, ECLI:EU:C:2024:215), la Cour de justice a annulé, pour erreur de droit et dénaturation des éléments de preuve, un arrêt du Tribunal de l’UE en ce qu’il rejetait les conclusions du demandeur tendant à la condamnation de la Commission européenne à réparer le préjudice résultant de la violation par l’Office de lutte antifraude (OLAF) des obligations lui incombant en vertu de la législation européenne relative à la protection des données à caractère personnel.

Au travers de son action en responsabilité extracontractuelle, la requérante reprochait en effet à l’Office d’avoir enfreint ladite législation en publiant un communiqué faisant état d’une de ses enquêtes ayant mis en lumière une fraude complexe impliquant une « jeune scientifique grecque » dans le cadre d’une subvention de 1,1 million d’euros accordée à une université grecque par l’agence exécutive du Conseil européen de la recherche. En première instance, le Tribunal rejette le recours en estimant que le communiqué en cause ne relève pas de la notion de « données à caractère personnel » dans la mesure où il ne comporte pas d’information se rapportant à une « personne identifiable », ce que, dans le cadre de son pourvoi, l’intéressée conteste avec succès. Cette affaire offre ainsi à la Cour l’opportunité de préciser les critères à mobiliser pour apprécier si les informations contenues dans un tel communiqué permettent raisonnablement l’identification indirecte d’une personne. Là où, s’enfermant dans le contexte procédural indemnitaire de son office, le Tribunal considérait que l’appréciation du caractère identifiable ne pouvait résulter d’éléments extérieurs au comportement reproché aux institutions de l’UE, la Cour estime au contraire qu’appréhendée à l’aune de la législation pertinente, cette question ne doit pas être confondue avec celle distincte afférente aux conditions d’imputabilité d’un acte à l’UE (pt 54). Or précisément, en recourant à la notion d’identification indirecte, la législation invite à élargir le spectre et à admettre que l’identification puisse résulter de la combinaison avec des informations supplémentaires émanant d’une autre source. Il en va d’autant plus ainsi, aux yeux de la Cour, qu’est en cause « un communiqué de presse émis par une autorité d’enquête afin d’informer le public sur l’issue d’une enquête » et qui donc « a, par sa nature, vocation à s’adresser notamment à des journalistes » (pt 57). A cet égard, la Cour relève que le caractère identifiable d’une personne ne saurait, dans ce contexte particulier, s’apprécier uniquement par rapport à un « lecteur moyen » excluant donc les journalistes. En l’espèce en effet, l’identité de la requérante a été divulguée sur les réseaux sociaux par un journaliste d’investigation l’ayant manifestement identifiée en procédant à des recherches à partir des informations contenues dans le communiqué de presse.

Pour autant, les circonstances de cette divulgation n’impliquent pas nécessairement que le communiqué de presse comporte une information se rapportant à une personne identifiable. Encore faut-il, dans la droite ligne de la jurisprudence, que « la possibilité de combiner les données en cause avec des informations supplémentaires constitue un moyen susceptible d’être raisonnablement mis en œuvre pour identifier la personne concernée », ce qui implique de « prendre en considération l’ensemble des facteurs objectifs, tels que le coût de l’identification et le temps nécessaire à celle-ci » (pt 50). Reste que, dans l’appréciation du risque d’identification indirecte et des efforts à consentir pour y parvenir, la nature de l’information divulguée n’est manifestement pas sans incidence. La Cour souligne ainsi qu’un « communiqué de presse visant des comportements prétendument illégaux, tels que des actes de fraude ou de corruption, est susceptible de susciter un intérêt certain auprès du public et d’amener les lecteurs, notamment des journalistes, à effectuer des recherches sur la personne visée par le communiqué » (pt 63). Toujours est-il qu’en l’occurrence, le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que le communiqué ne permettait pas raisonnablement d’identifier la requérante alors même qu’il mentionnait son genre, sa nationalité, sa profession, sa jeunesse, sa responsabilité du projet financé, le montant de la subvention, l’organisme d’octroi, la nature et le pays de l’entité accueillant le projet, le nombre de personnes y participant, la référence à la profession et même à l’affectation du père de la requérante dans la même structure.

Rapport annuel 2023 du Parquet européen

Le 1er mars 2024, le Parquet européen, organe de l’UE doté de la personnalité juridique et institué par le règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 (JOUE n° L 283 du 31 octobre 2017, p. 1) a publié son deuxième rapport annuel après avoir débuté ses activités opérationnelles le 1er juin 2021 dans le cadre d’une coopération renforcée impliquant 22 des 27 États membres (hors Danemark, Hongrie, Irlande, Pologne et Suède). Financé par le budget de l’UE à hauteur de 66 M€ en 2023 (contre 51 en 2022, + 29 %) et disposant de 232 agents statutaires, l’organisme implanté au Luxembourg fait état d’une montée en puissance de son activité. « Compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union » (art. 4 du règlement 2017/1939 précité), il a ouvert en 2023 1 371 enquêtes (+ 58 %), obtenu 1,5 Md€ de décision de gel (+ 300 %) et 139 mises en accusation (+ 50 %). L’ensemble des enquêtes menées par le parquet porterait sur plus de 19 Md€ de préjudice, sachant qu’une part significative (environ 11 Md€ pour environ 20 % des enquêtes ouvertes) résulterait de la fraude à la TVA dans laquelle seraient impliqués des groupes criminels.

1 Circulaire NOR ECOB2407423C. Objet : Préparation des volets « performance » des projets annuels de performances (PAP) du projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Direction du Budget. 13 mars 2024.

2 « L’État renforce ses compétences en créant son agence de conseil interne », communiqué de presse de la Direction interministérielle de la transformation publique, 26 mars 2024.

3 Le communiqué de presse rappelle que les dépenses de conseil externe de l’État ont été fortement réduites ces dernières années – divisées par trois entre 2021 et 2023 (80 M€ contre 271 M€).

4 « Immobilier de l’État : Thomas Cazenave lance les travaux du Conseil de l’immobilier de l’État sur le projet de foncière de l’État pour une gestion immobilière responsable, durable et sobre ». Communiqué de Presse n°1589. Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. 1er mars 2024.

5 « 20 Md€ d’économies en 2025 : Bercy veut s’attaquer au millefeuille administratif », Acteurs Publics, 7 mars 2024 / « Le Gouvernement veut faire participer les collectivités à l’effort d’économies »., Acteurs Publics, 26 mars 2024.

6 Plan de transformation écologique de l’État. Dossier de presse. Gouvernement. 29 mars 2024.

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Aurélien BAUDU (Fiscalité et procédure fiscale – Coordination)

Fabrice BIN (International et Fiscalité européenne)

Florent GAULLIER-CAMUS (Budget de l’État et opérateurs – Comptabilité publique)

Léonard GOURBIER (Management public)

Matthieu HOUSER (Finances locales)

Aymeric POTTEAU (Finances publiques européennes)

Yves TERRASSE (Finances sociales)