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BONNETS ROUGES ET GILETS JAUNES : CINQ LEÇONS

La mobilisation contre les taxes sur l’essence est significative. C’est la deuxième fois en quelques années qu’une réforme fiscale à finalité écologique est contestée dans la rue. Le rapprochement avec la révolte des « bonnets rouges » contre l’écotaxe poids lourds entre 2012 et 2014 s’impose. Encore une fois «  populo contre écolos » ? Ce n’est sans doute pas si simple. Quelles leçons tirer de ce précédent ?

Une réforme justifiée ne suffit pas

La première est que la qualité « technique » d’une réforme ne suffit pas assurer son succès. L’écotaxe transport avait été préconisée par le Grenelle de l’environnement. Elle mettait en œuvre le principe « pollueur/payeur » en faisant porter une partie du coût des infrastructures routières sur les camions qui les dégradent le plus.  De même l’augmentation de la contribution climat énergie incluse dans la TICPE et l’alignement du prix du diésel sur celui de l’essence sont souhaités par tous les experts pour donner un signal prix très clair aux consommateurs. Il s’agit de diminuer les pollutions atmosphériques qui font chaque année plus de morts que les accidents de la route. De « bonnes » réformes qui aurait dû faire consensus.

L’indispensable lisibilité

La deuxième rappelle que les réformes doivent rester lisibles pour les citoyens, surtout dans leurs modalités d’application. Celles-ci doivent être l’exact reflet des finalités de la taxation. Le tarif de l’écotaxe était complexe, son mode de perception (les fameux portiques dont la gestion était déléguée à une société privée) innovant et pas au point, la relation entre la taxe et sa finalité un peu lointaine. Pour la TICPE, l’expérience vécue par les citoyens est celle d’une augmentation du prix du plein hebdomadaire dont la composition entre prix de revient,  marges et taxes n’est pas claire. Ce n’est pas un problème de communication mais de conception des réformes qui doit inclure le point de vue du citoyen « lambda ».

Évaluer en amont les effet induits

La troisième porte sur la communication et la concertation. L’argument classique – « c’est une bonne réforme mais elle a été mal expliquée » – est tentant. Mais les deux cas, la concertation  a bien eu lieu, mais surtout avec les parties prenantes directes, c’est-à-dire les professionnels. Dans le cas de l’écotaxe, les syndicats de transporteurs avaient participé à la préparation de la réforme pendant plusieurs mois avant d’être débordés par les protestataires et de les rejoindre. S’agissant du prix des carburants, nul ne doute que les relations sont constantes entre les pouvoirs publics et les distributeurs. Mais les réformateurs doivent prendre en considération le plus en amont possible les effets induits, voire pervers des réformes. On a pu en juger au plan territorial pour l’écotaxe, vivement souhaitée en Alsace et très pénalisante en Bretagne. C’est l’impact social, notamment pour les ménages  les plus  modestes et les ruraux, de  l’augmentation du prix du diésel qui est mis en avant aujourd’hui.

Du bon usage de la fiscalité

La quatrième est que la fiscalité est un  bon déclencheur de révolte mais  ne se suffit pas à elle-même. Cela est vérifié dans la longue histoire des révoltes fiscales (les va-nu-pieds, les croquants, les bonnets rouges de 1674, la Révolution française, le tea party, …). Les bonnets rouges ont eu un grand succès parce que leur mouvement a été soutenu et amplifié par la FNSEA du Finistère, par les patrons et les syndicats des abattoirs de Bretagne et par  des élus proches des autonomistes bretons. Au niveau national, le « ras le bol fiscal », formulé par le ministre du budget lui-même en août 2013, a suscité les protestions des pigeons et d’autres catégories professionnelles. Malgré cela, les revendications n’ont pas « coagulées » et le pouvoir politique a pu désamorcer la grogne… en abandonnant  le projet pour un coût supérieur à 1 milliard d’euros supporté par l’ensemble des contribuables !

Le temps politique

La cinquième porte sur la gestion politique de la réforme. L’écotaxe avait été votée par le Parlement sans opposition, mais à vrai dire sans réelle adhésion non plus : le projet tenait en un seul article du projet de loi de finances pour 2009 qui a été adopté selon la procédure du vote bloqué. Il  n’a pas fait l’objet de débats et a bénéficié de très peu de publicité. Lorsque les temps difficiles sont venus pour l’écotaxe, la majorité parlementaire ayant changé, la nouvelle ministre de l’écologie, hostile à « l’écologie punitive », n’a soutenu que  mollement le projet. Elle a recherché sans conviction une alternative et a finalement opté pour l’abandon du projet. Plus près de nous,  la hausse des taxes environnementales a  été amorcée par les gouvernements de François Hollande mais a été rendue discrète par la baisse des prix du pétrole. Les ministres ou rapporteurs des budgets de l’époque réclament aujourd’hui une nouvelle politique.

À la lumière du précédent de l’écotaxe, le Gouvernement fait  preuve de courage en défendant la réforme et de lucidité en mettant l’accent sur les aides à accorder aux ménages modestes. Au delà des aspects techniques, politiques, économiques  et sociaux, il lui revient de donner du sens à la fiscalité environnementale. Celle-ci serait certainement plus facile à promouvoir  si le produit de la fiscalité environnementale était utilisé de manière lisible : pour baisser la fiscalité sur la production et sur le travail et pour financer les coûts de la transformation énergétique. À défaut, toute utilisation de la fiscalité pour infléchir les comportements nuisibles à l’écologie sera désormais « plombée » par ces deux fâcheux précédents.

(Gestion & Finances publiques publiera prochainement un article sur «  l’écotaxe poids lourds en France 2007-2017 ou l’échec d’une innovation fiscale » issu d’une communication au congrès de l’Association internationale de la recherche en management public de juillet 2018).

Michel Le ClaincheDR Finances Publiques au Ministère des finances