L’année 2022 avait pourtant bien commencé avec une sortie de crise sanitaire qui laissait certes les finances publiques françaises affaiblies mais offrait des perspectives de reprise économique. L’inflation revenait mais demeurait modérée. Le conflit russo-ukrainien a fait basculer l’Union européenne dans une période d’incertitude. La croissance a stagné, la hausse des prix accéléré. Les difficultés géopolitiques globales ont rencontré en France un contexte politique inédit générant atermoiements, hésitations, revirements ou passages en force. Quelques réformes ont cependant pu aboutir sur le plan administratif ; la prise en compte de l’environnement a progressé au sein de l’Union. La fin d’année 2022 est parue cependant placée sous le sceau de fortes tensions économiques avec leur lot d’instabilité sociale et politique. Déjà, le Royaume-Uni, détaché de l’UE, a montré sa grande fragilité.
Après la Covid, une situation financière qui se dégrade encore avec la guerre en Ukraine
Sorties très affaiblies de la crise sanitaire, les finances publiques de la Nation voyaient poindre une amélioration en janvier 2022 avec une croissance repartie à la hausse et des tensions inflationnistes contenues. Déjà, le Gouverneur de la Banque de France appelait « les architectes » de la reprise à se substituer « aux pompiers » de la crise. Hélas, l’invasion russe de l’Ukraine a précipité l’économie européenne dans la stagnation et la hausse des prix s’est accélérée, quelque peu tempérée en France, par une politique de soutien généreuse notamment traduite par des boucliers tarifaires sur l’énergie ou, plus récemment, par des chèques du Gouvernement aux ménages les plus exposés. Au-delà des résultats de la comptabilité nationale, la comptabilité générale de l’État rend compte d’une dégradation constante de la situation financière et d’une dette devenue difficilement contrôlable alors que les taux d’intérêt repartent à la hausse. Ils pèsent de nouveau lourdement sur les charges des intérêts qui avaient été longtemps orientées à la baisse, jouant comme une anesthésie sur nos finances publiques.
Une gouvernance budgétaire contrariée par la relative instabilité politique nationale
Dans un contexte déjà compliqué sur le plan international, la France a dû gérer ses finances en crise par recours répétés à l’article 49-3 de la Constitution avec une adoption laborieuse, par parties, des projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023. Le projet de loi de programmation des finances publiques n’aura pas eu cette opportunité et c’est « sans filet », pour reprendre l’expression du Premier président de la Cour des comptes, que le pays aborde l’avenir. Reste un programme de stabilité 2022-2027 reposant sur des hypothèses très favorables, selon l’analyse du Haut conseil des finances publiques, pour donner des gages de bonne gestion financière du pays à la Commission européenne.
La réforme de la responsabilité de ses gestionnaires
En gestation depuis 2021, un nouveau régime unifié de responsabilité des gestionnaires publics a finalement vu le jour à travers les dispositions de l’ordonnance du 23 mars 2022. La nouvelle chambre du contentieux de la Cour des comptes s’est mise en ordre de marche pour traiter ce nouveau contentieux administratif financier dont il reste à suivre la jurisprudence dans les années qui viennent. Sans attendre, le décret du 22 avril 2022 relatif au contrôle et à l’audit internes est venu sécuriser la gestion des services de l’Etat et de ses établissements publics. La direction du budget n’a pas tardé à pousser les gestionnaires publics vers le renforcement de leur dispositif de contrôle interne dans un contexte plein d’incertitude sur la sévérité du juge financier ou au contraire le relâchement de ses exigences du fait d’un ciblage des affaires sur les fautes graves ayant entraîné un préjudice financier significatif.
Des finances locales dans l’incertitude également
Affectées de manière différenciée selon les types de collectivités et les strates, les finances publiques locales ont vu leurs ressources fiscales amputées par la suppression définitive de la taxe d’habitation sur le logement principal ainsi que par la perspective, à réaliser en 2023 et 2024, de disparition de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). C’est la TVA affectée par l’État à la sphère locale qui équilibrera désormais les comptes, TVA dont le produit est de plus en plus dispersé entre la Sécurité sociale et les collectivités. Côté dépenses, la réforme du RSA ne semble pas enchanter les départements qui se méfient de l’expérimentation en cours. Dans un contexte d’augmentation de leurs charges sous l’effet de la hausse subite du coût de l’énergie, les collectivités sont contraintes de hâter le pas de la transition écologique et d’améliorer leur performance thermique, de promouvoir les transports collectifs, de faire œuvre de sobriété tout en investissant pour l’avenir. Gageons que la loi 3DS et la nouvelle fonction qu’elle confère aux chambres régionales des comptes d’évaluer les politiques publiques territoriales participeront à l’amélioration de la gestion publique locale.
Des finances sociales en crise systémique sauf pour ce qui concerne l’assurance chômage
Passé le cap de la remise à niveau de la gouvernance des finances publiques sociales via les lois organique et ordinaire modifiant le cadre des lois de financement de la Sécurité sociale du 14 mars 2022, force est de constater les difficultés de fond du financement de la protection sociale au fil des rapports du Haut conseil chargé de le suivre. Certes, les comptes de l’UNEDIC reviennent dans le vert sous l’effet d’une amélioration sensible du marché de l’emploi et des réformes de l’assurance chômage visant à favoriser le retour rapide à l’emploi. Reste cependant un triple facteur d’inquiétude : les minimas sociaux continuent de progresser et de s’enrichir de dispositifs de soutien du pouvoir d’achat des ménages les plus modestes écrasés par la vie chère ; le poids relatif des retraités sur les actifs continue de croître, rendant nécessaire une réforme de l’assurance vieillesse, longtemps discutée, maintes fois repoussée, jusqu’en 2023 où elle devrait enfin voir le jour ; l’assurance maladie surtout est contrainte de toutes parts avec un système de soin à bout de souffle face à une demande de prise en charge qui elle ne s’épuise pas et un ONDAM débridé à force de résurgence de la Covid, de bronchiolite ou de grippe saisonnière mais aussi de professionnels de santé qui abandonnent l’hôpital public ou imposent au Gouvernement des revendications salariales toujours plus élevées afin de maintenir l’engagement de celles et ceux qui restent sur le pont des urgences sanitaires.
Une fiscalité sous contrôle
Au taquet du taux de prélèvement obligatoire, la France ne peut guère s’appuyer sur un ressaut de sa fiscalité. Au contraire, l’heure est à la baisse. Outre la disparition de la taxe d’habitation et de la CVAE, et nonobstant les hausses, parfois très fortes, localement enregistrées de la taxe foncière qui reste à la main des collectivités territoriales, des pans entiers d’imposition tombent comme la contribution à l’audiovisuel public. Un instant envisagé par Bercy, la taxe sur les GAFAM est effacée par le dispositif, qui reste à détailler à l’échelle internationale, de taxation minimale des entreprises multinationales poussé par les États-Unis d’Amérique au sein de l’OCDE.
Dans ce contexte, reste à collecter les taxes qui doivent l’être. Le contrôle fiscal poursuit sa rénovation tant sur le plan des structures que de ses modes de fonctionnement. Les fonctions fiscales de la DGDDI basculent progressivement dans l’escarcelle de la DGFiP. L’intelligence artificielle et les données de télédétection alimentent la programmation des contrôleurs fiscaux et facilitent leurs réalisations. Des enquêtes d’ampleur sont lancées, en particulier sur les fraudes susceptibles d’avoir été commises par certains groupes de consultants.
Une fonction publique qui poursuit sa mue
Dans le sillage des décisions rendues à la fin de la précédente mandature, la fonction publique accueille de plus en plus de contractuels tout en continuant globalement de croître. Le télétravail s’y développe sur les acquis de la période de confinement. La haute fonction publique voit se réaliser la fusion de la plupart de ses corps, y compris ceux de la préfectorale et de la diplomatie, au sein du nouveau corps des administrateurs de l’État. Les corps d’inspection sont mis en extinction. Le Contrôle général économique et financier est en particulier réformé et voit une partie substantielle de ses attributions en termes d’audit interne transférée à l’Inspection générale des finances qui reste, si ce n’est un corps, du moins un service pivot de l’administration de Bercy.
Une Europe tourmentée mais fidèle au Pacte vert et au Pacte de stabilité bientôt réactivé
Confrontée à la guerre russo-ukrainienne, l’Union européenne fait face au mieux. Elle aide militairement et financièrement l’Ukraine. Elle intègre la Croatie dans la zone Euro. Elle tente d’imposer les règles de l’État de Droit en Pologne et en Hongrie en faisant pression via la conditionnalité de ses aides structurelles du plan de relance NextGenerationEU. Elle subit aussi une inflation sans précédent depuis des décennies qui remet en cause le mix énergétique sur lequel elle fondait son économie, en particulier l’industrie allemande et celle de la Mitteleuropa.
Obligée d’avancer à marche forcée vers une plus grande indépendance énergétique, l’Union pousse son Pacte vert, son plan de relance et parvient, non sans nombreux atermoiements, à mettre sur pied le nouveau mécanisme carbone d’ajustement aux frontières.
Il reste que les règles macrobudgétaires de l’UE sont encore suspendues et que la réforme du Pacte de stabilité et de croissance promue par la Commission et soutenue par l’Allemagne via son ministre libérale des finances, qui souhaite un retour à plus d’orthodoxie budgétaire de la part des États du Sud de l’Europe, risquent de rajouter de fortes contraintes pour la conduite les politiques publiques, en particulier les investissements nécessaires à la gestion des grandes transitions du continent. Le résultat de la négociation en 2023 sera déterminant pour la gestion des finances publiques françaises en 2024.
Des politiques monétaires de plus en plus restrictives et une récession probable
Aiguillonnées par le regain d’inflation, la plupart des banques centrales, sauf celle de Chine toujours empêtrée dans la gestion de la Covid, jouent la carte de la hausse des taux d’intérêt afin de temporiser la hausse des prix qui n’est pas tant due à une surchauffe de la demande qu’à un renchérissement de l’offre. En dépit de vives critiques sur le cap retenu, tant du côté de la FED américaine que de la BCE, les contraintes de financement rencontrent le rationnement de l’énergie et des matières premières. Parmi les économies à la pointe de la crise, le Royaume-Uni fait figure de « laboratoire » où s’entremêlent inflation galopante, résurgence de la pauvreté, grogne sociale et finalement instabilité politique. Sacrifié sur l’autel d’une politique budgétaire jugée trop généreuse, le Gouvernement Truss n’aura duré que quelques semaines. Le Gouvernement Sunak fera-t-il mieux en empruntant le chemin de l’austérité ? Au-delà du cas britannique, aux difficultés exacerbées par le Brexit, c’est bien l’ensemble des pouvoirs publics européens qui s’apprêtent à gérer une année 2023 particulièrement compliquée. Mais le pire n’est jamais sûr. Formons le vœu, à tout le moins, que la guerre en Ukraine finisse.