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BIBLIOGRAPHIE – REVUE-GFP N°2 – 2020

Nous avons lu pour vous

L’impôt sans le citoyen ? Michel Bouvier, LGDJ, Lextenso, 2019, 171 p. 

L’éminent professeur nous livre, dans un ouvrage court et à l’écriture limpide, une synthèse de sa réflexion sur l’avenir de l’impôt que chacun avait pu découvrir au fil de ses ouvrages et articles et de ses éditoriaux de la Revue française de finances publiques qu’il dirige. Il rappelle très opportunément que les questions fiscales ne relèvent pas de l’idéologie ou d’une approche technique mais sont d’abord des sujets de réflexion politique au sens plein du mot : elles concernent les modes de gouvernance de la société et expriment une certaine conception du lien entre les citoyens et l’État. Or, les bouleversements des sociétés modernes perturbent les approches traditionnelles et génèrent un véritable « désarroi fiscal » qui appelle rien moins que la « réinvention d’une fiscalité pour le XXIe siècle ». Vaste programme !

L’ouvrage passe en revue les différentes conceptions du consentement à/de l’impôt, de la justice fiscale, des principales notions de techniques fiscales. Il rappelle les fondements historiques et philosophiques des deux principales conceptions : la théorie de l’impôt-échange, chère aux libéraux (et à Proudhon) pour laquelle l’impôt est le prix des services rendus aux individus par la collectivité et la théorie de l’impôt-solidarité, selon laquelle l’impôt tire sa légitimité de ses fonctions politiques (le consentement à l’impôt, base de la démocratie parlementaire) et sociales (l’impôt, comme instrument de redistribution des richesses). Au fil de ses démonstrations, Michel Bouvier convoque les théoriciens de l’impôt (Montesquieu, Hobbes, Vauban, Proudhon, Leroy-Beaulieu…) aussi bien que des hommes de lettres (Rousseau, Voltaire, Anatole France…).Plus près de nous, ses exposés portent sur les libéraux, les libertariens, les écoles de Chicago et du Public Choice, la courbe de Laffer (ou plutôt celle d’Arsène-Jules-Emile Dupuit),les théories de l’impôt unique (Nicolas Kaldor), la justice sociale selon John Rawls, le plan BEPS de l’OCDE…

L’auteur met en lumière l’inadaptation croissante des systèmes fiscaux hérités d’une époque organisée autour d’États relativement peu ouverts, d’ une économie industrielle et d’ une démocratie représentative alors que les défis futurs sont ceux d’une économie mondialisée, du tout numérique et d’une société qui pourrait devenir « sans État » sous l’influence des réseaux d’entreprises multinationales et de métropoles internationales.

Cet « impôt du futur » suppose une transformation profonde des outils fiscaux pour s’adapter à l’économie numérique, s’ouvrir à l’international tout en luttant contre l’évasion fiscale. Ces perspectives ne sont guère davantage précisées par l’auteur à l’exception de la référence aux derniers travaux de l’OCDE sur la lutte contre l’érosion des bases fiscales et sur la territorialisation de l’imposition des multinationales du numérique. On peut regretter l’absence d’observations sur la contribution de la fiscalité du futur au développement durable et à la lutte contre le changement climatique. On aurait attendu aussi des développements plus substantiels sur le renouveau d’une participation des citoyens face aux tentatives de « nouveau civisme fiscal » plus ou moins consuméristes, au recours aux experts ou aux tentations populistes. Mais il appartient à tous et à chacun de poursuivre cette stimulante réflexion. ■ 

Dossier : Les grandes œuvres fiscales, coordonné par Christophe de la Mardière, Revue européenne et internationale de droit fiscal, n° 2019-3, 380 p. 

La « revue-livre » consacrée aux « grands œuvres fiscales » par la REIDF mérite l’attention. L’immense culture des contributeurs et leurs choix, parfois originaux, sont une source abondante de connaissance et, surtout, de réflexion sur l’impôt, pris dans sa dimension de « fait social et politique », comme l’indique Thierry Lambert dans son éditorial. Malgré l’absence de définition et de critères explicites du concept de « grandes œuvres fiscales », on ne critiquera pas le choix des treize ouvrages ou auteurs présentés par ordre chronologique et qui, d’ailleurs, jalonnent bien l’histoire de la pensée fiscale. Elle s’exprime dans des œuvres bien connues (La Dîme royale de Vauban-1707, les plaidoyers de Joseph Caillaux en faveur de l’impôt sur le revenu-1910 ou le Traité de politique fiscale de Maurice Lauré-1956) mais aussi dans d’autres moins souvent citées (Le Code théodosien-438, le Rosier des Guerres-vers 1470, Des finances de la République française en l’an IX de Ramel de Nogaret, l’initiateur de l’impôt sur les portes et fenêtres-1801, le Steuer-recht d’Albert Hensel-1924, par exemple). Elle est à rechercher dans des ouvrages relatifs aux finances (outre ceux précédemment cités, la Théorie de l’impôt de Mirabeau -le père-1760, le Traité de la Science des finances de Paul Leroy-Beaulieu-1877, La théorie de l’imposition d’Adolphe Wagner-1909), mais, aussi, au sein de propos plus larges concernant le bon gouvernement ou l’économie (Les six livres de la République de Jean Bodin-1576, les Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations d’Adam Smith-1776, la Solidarité de Léon Bourgeois-1896). La lecture fait ressortir certaines inerties (la prudente transition entre la théorie domaniale et l’impôt permanent à la fin du moyen-âge ; l’acceptation des privilèges chez tous les auteurs de l’Ancien régime à l’exception de Vauban ; l’acceptation de la gabelle par le même auteur et des impôts indirects par Ramel de Nogaret, 10 ans après leur suppression…) mais aussi des innovations durables : le consentement à l’impôt chez Bodin et Mirabeau ,probablement dans un sens très différent du principe révolutionnaire, la limitation de l’impôt par la nécessité (chez Bodin et Adam Smith). L’ouvrage donne des éléments fondamentaux de débats encore actuels : Sur la conception des impôts , l’opposition qui semble se réactualiser entre les théories de l’impôt-échange (Bodin, Adam Smith, Leroy-Beaulieu) et celles de l’impôt-solidarité (Cailleaux, Bourgeois, A. Wagner), d’ailleurs parfaitement compatibles avec le libéralisme, et entre l’impôt proportionnel et l’impôt progressif ; sur le plan de la mise en œuvre de la fiscalité, avec l’accent mis sur la juridicisation de la fiscalité par Albert Hensel auquel semble répondre l’approche psychologique de Maurice Lauré. Certains auteurs font preuve d’une grande originalité (la comparaison entre le Code théodosien et l’actuel système fiscal suisse est audacieuse ) ou d’esprit très critique à l’égard des auteurs commentés (Christophe de la Marlière pour Vauban et Xavier Cabannes pour Mirabeau) et tous d’une grande érudition qui invite à déguster ce n° exceptionnel d’une belle revue. ■

La fiscalité et l’impératif de développement du Centrafrique Mathurin Mbounou-Ngopo L’Harmattan, 2019, 379 p. 

L’intérêt de la thèse de M. Mbounou-Ngopo, inspecteur des impôts et enseignant à l’Université de Bangui, soutenue à Aix-en-provence, dépasse largement le cadre du Centrafrique. Son étude de la contribution de la fiscalité au développement est pleine d’intérêt pour inspirer la politique de développement dans tous les pays d’Afrique et pour la théorie générale de la fiscalité comme outil de politique publique. L’auteur analyse avec pertinence l’histoire coloniale et post-coloniale du pays et la fiscalité qui lui est attachée, fondée sur la capitation et des droits de douanes, puis les politiques d’ajustement structurel et les plans de lutte contre la pauvreté qui se sont accompagnés de nombreuses réformes financières et fiscales :intégration dans la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac), introduction d’un impôt sur le revenu et d’un impôt sur les bénéfices, régimes fiscaux dérogatoires très favorables aux investissements, délégation du recouvrement aux banques, informatisation des administrations fiscales et douanières). L’auteur conclut à un constat d’échec, tant du point de vue du développement économique et social que du rendement fiscal, qui est resté très faible. Exprimant la conviction que le développement et la stabilité ne peuvent venir que de ressources endogènes durables, M. Mbounou-Ngopo préconise, à travers la notion originale de « performance fiscale », une nouvelle conception de la fiscalité au service du développement : coordination des politiques économiques et des politiques fiscales, pilotage de la politique fiscale par les indicateurs et l’évaluation, simplification de la fiscalité dans le cadre des directives Cemac, révision des régimes de faveur, adaptation de la fiscalité spécifique sur les mines, les forêts et les télécommunications, fiscalisation du secteur économique informel, conception d’une fiscalité pétrolière, amélioration du recouvrement, promotion du civisme fiscal, décentralisation, coordination des administrations fiscales et douanières, formation et gestion des ressources humaines dans la fonction publique, coopération fiscale internationale. ■