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AUDIENCE SOLENNELLE DE RENTRÉE – PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DES COMPTES

Audience solennelle de rentrée du 30 janvier 2023, allocution de Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes (PDF)

Mesdames, Messieurs,

En cette audience solennelle de rentrée, j’aimerais partager avec vous les ambitions de notre institution. Tout d’abord, les juridictions financières ont plus que jamais à cœur de renforcer l’efficacité de leur action pour toujours mieux éclairer la décision et l’opinion publique. Ensuite, la Cour des comptes et les chambres régionales, temples des finances publiques, sont déterminées à jouer leur rôle pour garantir la soutenabilité financière et environnementale de notre modèle.

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1. Les juridictions financières se sont d’abord transformées pour être encore plus à même de répondre aux nombreux défis à venir et pour mieux accompagner l’action publique

L’ensemble du projet que nous avons lancé depuis deux ans vise ainsi à nous mettre encore davantage en phase avec notre temps et à renforcer l’efficacité de notre action.

Nous en voyons déjà les effets et je voudrais vous faire part de quelques avancées qui me rendent fier et qui nous permettront de participer sans cesse davantage et mieux à la bonne conduite des politiques publiques.

La première transformation majeure est à mes yeux la décision de publier au 1er janvier 2023 l’intégralité de nos rapports, à l’exclusion des secrets protégés.

La confiance que nous portent les citoyens repose sur notre capacité à éclairer l’action publique, sans rien dissimuler, pour rendre compte de l’usage des deniers publics. Animés par cet idéal de transparence nécessaire à la République et convaincus d’un besoin d’objectivité dans notre société, il ne nous semblait plus possible de ne pas publier tous nos travaux. Cette transformation vient réactualiser notre raison d’être inscrite au-dessus de vos têtes : rendre compte à la société de l’usage des deniers publics.

La deuxième transformation dont je voudrais vous faire part, le gouvernement ne l’ignore pas, puisqu’il l’a rendue possible, concerne le renforcement du juge financier français.

À partir du 1er janvier, la Cour des comptes connaît de la responsabilité de l’ensemble des gestionnaires publics. Cette réforme est historique puisqu’il ne s’agit de rien de moins qu’un tournant par rapport à l’héritage napoléonien de 1807. Elle est aussi inéluctable pour moderniser la responsabilité des gestionnaires publics. Vous savez que je me suis battu pour garantir l’indépendance nécessaire à une justice financière équilibrée, entre l’action du juge pénal et la responsabilité managériale.

Le résultat obtenu justifie cet effort, et le nouveau régime est maintenant compris comme une avancée pour les citoyens pour les justiciables et pour l’action publique. Il lui reste bien sûr, et c’est l’essentiel, à faire ses preuves. Nous y mettrons toute notre énergie.

Le 1er janvier 2023, nous avons pour ce faire, institué la chambre du contentieux, première chambre unie des juridictions financières puisque qu’elle sera à parité des magistrats de la Cour et des CRC. Elle sanctionnera de véritables fautes financières ayant causé un préjudice financier. La réforme ne pourra que renforcer notre institution car elle consacre notre pouvoir et notre rôle en tant qu’acteur central de la redevabilité publique en France. Notre jurisprudence va se professionnaliser et gagner en qualité. Pour rendre la justice de manière effective, l’intégralité des chambres sont mobilisées pour approfondir encore le contrôle de régularité et alimenter les instructions contentieuses. C’est pour nous tous, magistrats financiers, à la fois un défi et une obligation. Je suis persuadé que nous saurons y faire face.

Enfin, les juridictions financières font toujours davantage pour être en phase avec notre temps.

Comment cette ambition se manifeste-t-elle ? Les juridictions financières veulent prendre en compte les préoccupations profondes qui animent nos concitoyens et y apporter des éléments de réponse objectifs et étayés.

Pour être en phase avec notre temps et avec une exigence démocratique croissante, nous avons voulu remettre le citoyen au cœur de nos travaux, car c’est à lui que la Cour rend des comptes. Pour approfondir un lien de confiance qui nous honore et nous oblige, nous avons voulu lui donner la parole, le faire participer à notre programmation avec la création de contrôles d’initiative citoyenne tirés d’une vaste consultation citoyenne, et lui permettre de nous signaler des irrégularités pour alimenter les contrôles via une plateforme de signalement. Nous sortons enrichis de cette démarche et je m’en réjouis.

Dans ce sens, nous réduisons aussi nos délais afin de produire nos rapports en temps utile pour les décideurs publics et les parlementaires comme pour l’information des citoyens, et nous conduisons davantage d’évaluations des politiques publiques, désormais à l’échelle locale comme nationale puisque les CRC ont désormais également cette compétence, dans le but de réinterroger le bien fondé des politiques publiques au regard de leurs objectifs et de leurs effets.

Pour être en phase avec notre temps, nous avons aussi voulu nous inscrire dans la grande cause de l’égalité entre les femmes et les hommes, si essentielle pour l’avenir de notre société.
Le pilotage de la politique publique d’égalité entre les femmes et les hommes fera d’ailleurs l’objet d’un contrôle d’initiative citoyenne, publié en 2023.

Mais comment contrôler sans être exemplaires soi-même ? Tout digne et loyal magistrat financier se pose chaque jour cette louable question. Sans prétendre à la perfection, j’ai engagé au nom des juridictions financières une politique résolument volontariste en faveur de l’égalité professionnelle, de la lutte et de la prévention contre toutes les formes de harcèlement au sein des juridictions financières. Je suis extrêmement attentif à ce sujet, qui mérite d’être porté collectivement et politiquement avec force, pour faire advenir une société mixte, saine et respectueuse de tous.

Pour être en phase avec notre temps, les juridictions financières se mobilisent enfin massivement pour investir la question de la transition écologique. Notre programme de travail pour 2023 sera placé sous le signe de l’adaptation à la transition environnementale, en vue du rapport public annuel de 2024. Nous souhaitons travailler beaucoup plus sur les investissements publics qui contribuent à cette adaptation, c’est-à-dire prenant en compte les effets du réchauffement climatique dans la construction des politiques publiques, et non seulement les politiques d’atténuation.

C’est indispensable et la Cour se sent légitime pour chiffrer et analyser les besoins en la matière. Car en effet, ce défi est aussi vital qu’il va être très coûteux. Il demande dès aujourd’hui de dégager des marges de manœuvre financières pour conduire ces investissements massifs. On a parfois parlé de Cour des comptes environnementale mais elle existe déjà ! À nous de le démontrer par la qualité de nos travaux.

2. Permettez-moi maintenant d’aborder notre vision en matière de finances publiques pour 2023.

Notre rôle, en tant que vigie du bon usage des deniers publics, est d’anticiper les dépenses à venir pour apprécier l’état de nos finances actuelles. Comme toujours, nos rapports en 2023 veilleront à apporter un éclairage utile et étendu aux citoyens, aux parlementaires et aux décideurs publics sur la situation et sur les perspectives des finances publiques. Dès notre rapport public annuel, publié en mars prochain, un état des lieux sera présenté au Parlement et à la presse et rendu public.

Tout au long de l’année, nous poursuivrons avec la même exigence ce double impératif d’objectivité et d’inventivité pour rendre nos finances publiques plus fortes et plus durables.

La situation des finances publiques est un sujet de préoccupation majeure, que tous partagent ici. Nos niveaux de dette et de déficit marquent une forte dégradation. Selon les prévisions de la loi de finances, le déficit public s’élèverait à 5 points de PIB en 2023. La dette publique atteindrait 111,2 points de PIB, c’est 700 Md€ de plus qu’avant-crise. Depuis l’entrée dans l’Euro, en 2000, à l’époque où nous étions à égalité avec l’Allemagne à 58,9 % de dette publique dans le PIB, la Belgique a gagné un point, l’Allemagne 10 points, l’Italie 40 points, la France 55. Nous ne pouvons plus continuer sur cette pente.

À terme, ce n’est pas soutenable, et un pays endetté à l’excès ne dispose pas des marges de manœuvre suffisantes pour investir à long terme dans son avenir. La dette finit toujours par engorger, puis paralyser l’action publique. Voilà pourquoi un désendettement maîtrisé est indispensable.

D’autant plus que nous sommes sortis de l’ère des taux d’intérêt négatifs avec ses effets d’aubaine. Et même si les indicateurs analysés sont, fort heureusement, plus positifs que prévus, les perspectives de croissance pour 2023 sont moins bonnes qu’en 2022, au maximum de 1 %, prévision que nous estimons encore trop optimiste. Les conditions de financement se sont donc dégradées face aux pressions inflationnistes et au resserrement de la politique monétaire mis en œuvre pour y faire face, ce qui pèse lourdement sur les finances publiques des pays fortement endettés.

Dans le prolongement du rapport commandé à la Cour par le Président de la République et le Premier ministre en 2021 et des nombreux rapports réalisés à la demande du Parlement, les juridictions financières rappellent qu’elles sont à la disposition du Gouvernement comme du Parlement pour approfondir, avec toutes les parties prenantes, une stratégie de finances publiques prenant en compte toutes les nouvelles contraintes. Cette perspective devra combiner redressement des finances publiques, maîtrise intelligente des dépenses et préservation du potentiel de croissance à moyen terme, conformément aux objectifs que se donne la réforme attendue de la gouvernance macroéconomique européenne.

Si ces objectifs sont effectivement posés à l’horizon de la trajectoire pluriannuelle française pour 2023-2027, ils ne pourront offrir de boussole effective de l’action publique sans loi de programmation.

Nous en avons d’autant plus besoin que 2023 sera une année essentielle de négociation de la réforme – tant attendue – du cadre européen, cruciale alors que la clause dérogatoire générale, qui a suspendu les règles budgétaires existantes, devrait être levée au 1er janvier 2024. Notre poids dans cette négociation dépendra aussi de la crédibilité de nos engagements.

Disposer d’une telle loi, qui crédibiliserait les objectifs de finances publiques à moyen terme de la France, est à mes yeux incontournable, pour des raisons juridiques, organiques, démocratiques ainsi que par rapport à nos engagements européens. En tant que Premier président de la Cour des comptes mais aussi en tant que président du HCFP, je saisis l’occasion de cette séance solennelle pour lancer à chacun un appel à prendre conscience de cette impérieuse nécessité.

Madame la Première Ministre, je me réjouis de l’ambition de votre gouvernement de conduire des revues de dépenses annuelles. Je redis à chacun la disponibilité de la Cour, du Haut Conseil des Finances Publiques et la mienne pour participer activement à cet exercice qui doit être stratégique et approfondi, de même qu’au printemps de l’évaluation du Parlement, pour faire de l’examen du projet de loi de règlement un moment de convergence de l’évaluation de l’action publique et de réflexion collective sur la pertinence ou non de chaque dépense.