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BIBLIOGRAPHIE – REVUE-GFP N°2 – 2023

Nous avons lu pour vous

La comptabilité publique, Sébastien Kott (dir.), Revue française d’administration publique, n° 183, 2022

Les finances publiques, en tant que discipline universitaire, se rattachent à la fois au droit public, à d’autres sciences humaines (économie, sciences politiques, sociologie…) et à la connaissance de la pratique administrative. Il n’est donc pas étonnant que la RFAP y consacre des articles ou des numéros thématiques comme elle vient de le faire deux fois en 2022 dans les numéros 182 sur « Le renouveau des finances publiques nationales » et 183 consacré à « La comptabilité publique ». Ce dernier est dirigé par Sébastien Kott, le professeur de Poitiers étant le spécialiste incontesté de ce domaine des finances publiques trop souvent négligé parce que réputé encore plus subalterne, encore plus technique et encore plus complexe que le reste de la matière.

La comptabilité publique, définie par l’article 55 du décret du 7 novembre 2012 comme « un système d’organisation de l’information financière », a été trop longtemps considérée principalement sous l’angle du contrôle de la régularité des opérations financières exercé par les comptables publics sous le regard soupçonneux du juge des comptes. Elle a pourtant dès l’origine l’objectif de fournir les informations financières utiles pour l’exercice de deux fonctions distinctes et complémentaires : contrôler les administrations publiques pour garantir la régularité des opérations et analyser l’action publique en vue d’en améliorer la gestion. La perspective est à la fois historique et problématique. Prenant appui sur le centième anniversaire de la première ordonnance du Marquis d’Audiffret (ordonnance du 14 septembre 1822), plusieurs auteurs analysent les premières grands textes de la matière (1822, ordonnance du 31 mai 1838, décret du 31 mai 1862) qui sont aussi les premières codifications de l’action administrative. 1919 est l’autre étape historique qui voit, après l’affaissement du système comptable pendant la Grande Guerre, la scission de la direction générale de la comptabilité publique et de la direction du budget créée à partir d’un bureau de la première. De là, date la focalisation sur la comptabilité budgétaire qui mobilise les politiques et l’opinion et le désintérêt pour la comptabilité administrative. C’est aussi le moment de la divergence de méthodologies entre la comptabilité de caisse (méthode sommaire mais suffisante pour la comptabilité budgétaire sous réserve de quelques enrichissements) et la comptabilité en droits constatés (ou comptabilité d’exercice, d’engagement, générale ou patrimoniale), qui est la règle dans les entreprises et se généralise progressivement dans la sphère publique.

L’ouvrage revient longuement sur ce double mouvement de convergences/ divergences entre la comptabilité marchande et la comptabilité publique, d’une part, et entre la comptabilité budgétaire et la comptabilité générale, d’autre part. La matière s’est largement renouvelée dans la période récente. La comptabilité d’engagement devient de plus en plus un support pour la recherche d’une amélioration de la gestion. Ainsi 25 États-membres de l’OCDE tiennent leurs comptes publics selon cette méthode. En conséquence, le débat sur les différents types de normalisation prend de l’ampleur. Les principes en sont plus ou moins calqués sur les règles en vigueur dans les grandes entreprises et plus ou moins internationalisées. En France, la LOLF, le nouvel article 47 al. 2 de la Constitution issu de la révision constitutionnelle de 2008 et le décret GBCP du 7 novembre 2012 ont revalorisé la comptabilité publique en définissant trois comptabilités (budgétaire, générale et d’analyse des coûts) et en définissant l‘exigence de qualité comptable (régularité, sincérité des comptes, image fidèle de la situation financière de l’organisation).

Toutefois, aux trois comptabilités « lolfiennes », les auteurs ajoutent à juste titre la comptabilité nationale, utilisée indépendamment de ses usages économiques, comme langage budgétaire commun des pays membres de l’Union européenne, et la comptabilité écologique, encore en devenir. En outre, il est remarqué que l’application de la LOLF n’a pas été jusqu’au bout de la logique de l’évolution du rôle du comptable public puisque l’administration ne lui a pas donné les moyens d’exercer la mission de garant de la qualité comptable inscrite à l’article 31. Avec la disparition de la responsabilité personnelle et pécuniaire, la fonction de contrôle de la régularité est fragilisée alors que les missions de teneur de compte indépendant sont moins assurées au moment où les systèmes informatiques intégrés bouleversent la séparation des fonctions entre l’ordonnateur et le comptable et où les gestionnaires s’intéressent plus à la qualité de la gestion qu’à la régularité comptable. La disparition de l’entité organique « direction de la comptabilité publique » en 2008 lors de la fusion avec la direction générale des impôts est aussi un symptôme de la banalisation de la comptabilité publique.

Mais l’ouvrage ouvre des perspectives. Par exemple, en posant la question de savoir s’il faut continuer à transposer et à adapter marginalement la comptabilité d’entreprise, faite pour suivre les évènements relatifs aux capitaux engagés, ou réinventer un modèle de comptabilité publique spécifique : « La comptabilité publique n’existe pas encore. Elle reste largement à construire si l’on veut dépasser la simple transposition à laquelle on s’est livré jusqu’à présent ». Ou en ouvrant le dossier de la redéfinition des missions des comptables publics (qui peuvent être différentes aux niveaux de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics) : « La comptabilité publique est à la croisée des chemins : disparaître ou se réinventer ». Un article des animateurs de la chaire Comptabilité écologique à Agro-ParisTech introduit le lecteur à la question fondamentale de la comptabilité écologique. Celle-ci a l’ambition de mesurer la dette écologique vis à vis de l’environnement, la référence étant « la conservation ou la restauration des écosystèmes définies scientifiquement et collectivement dans le cadre des textes légaux ». Elle fait l’objet de diverses études et expérimentations aux niveaux de l’État, des entreprises et organisations publiques ou de la gestion des écosystèmes et les auteurs envisagent une convergence de ces méthodes.

Cet ouvrage stimulant amène d’autres réflexions. Ne peut-on imaginer également une comptabilité de la performance, esquissée par les PAP et les RAP budgétaires ? Après une comptabilité publique qui a été un puissant levier de centralisation administrative, on pourrait esquisser ce que serait une comptabilité publique au service de la déconcentration et de la décentralisation. Par ailleurs, au vu des avantages évidents de la comptabilité en droits constatés, on se demande pourquoi les différentes comptabilités publiques continuent leurs développements parallèles. Sans rêver d’un monisme universel, qui serait utopique car les organisations et les finalités sont diverses, on aimerait que la question de l’articulation des différentes comptabilités évoquées dans cet ouvrage (européenne, budgétaire, générale, analytique, écologique) soit davantage étudiée par les spécialistes et exposée aux utilisateurs potentiels.

Car, l’usage effectif de la comptabilité reste le point faible du dispositif. L’ouvrage présente opportunément quelques témoignages sur les utilisations concrètes des données de la comptabilité publique par les commissions parlementaires ou les conseils d’administration des établissements d’enseignements et dans certains établissements publics. Mais la comptabilité publique est sous-utilisée et largement incomprise alors qu’elle devrait être un auxiliaire précieux de toute gestion publique. Ce numéro thématique devrait contribuer à cette appropriation de la comptabilité publique par les gestionnaires mais il reste beaucoup à faire.  MLC

Le juge et l’impôt. D’un dualisme complexe à un monisme vertueux, Florent OLIVER, L’Harmattan, 2022, 445 p.

Sous ce titre très général et ce sous-titre un peu mystérieux, l’ouvrage, issu d’une thèse de doctorat dirigée par le Professeur Thierry Lambert, traite d’un sujet bien précis : les règles d’attributions du contentieux fiscal entre les différents juges de l’impôt. Il présente clairement, avec à l’appui une argumentation serrée, une thèse tranchée et originale : le dualisme de juridictions, administrative et judiciaire, présente plus d’inconvénients que d’avantages ; il doit donc être remplacé par l’institution d’un ordre de juridiction unique et spécialisé. Malgré l’ardeur mise par Florent Oliver pour justifier ses points de vue, sa démonstration, passionnée mais néanmoins rigoureuse, n’emportera peut-être pas la conviction de tous les lecteurs.

Dans une première partie, l’auteur expose et critique le dualisme juridictionnel actuellement en vigueur. Le contentieux de l’impôt est réparti entre les juridictions de l’ordre administratif et celles de l’ordre judiciaire. L’article 199 du livre des procédures fiscales attribue ainsi aux premières le contentieux des impôts directs dans la suite de la loi du 28 pluviôse an VIII qui crée les conseils de préfecture ; les secondes sont compétentes pour connaître des litiges relatifs aux droits d’enregistrement (loi du 22 frimaire an VII), aux droits de timbre et aux impôts indirects (loi du 5 ventôse an XII), à l’exception notable des taxes sur le chiffre d’affaires attribuées aux juridictions administratives (loi du 20 juin 1920). À cette répartition des contentieux relatifs à l’assiette de l’impôt s’ajoute les règles de compétence du contentieux du recouvrement : pour ce qui est de l’obligation de payer, il suit la répartition du contentieux de l’assiette et, pour ce qui est de la régularité en la forme des actes de poursuite, il relève du juge judiciaire (art. L281 du LPF).
L’auteur souligne avec raison que, malgré diverses tentatives doctrinales de justification de cette répartition, celle-ci s’explique difficilement par la « nature » directe ou indirecte des impositions. Elle est essentiellement le fruit des circonstances historiques dont les racines plongent dans l’Ancien Régime (les intendants jugent des litiges relatifs aux tailles ; les tribunaux ordinaires les litiges relatifs aux aides) et, surtout, dans la période révolutionnaire et post-révolutionnaire (défiance à l’égard des juges, puis institution du juge administratif et, enfin, rétablissement tardif des impôts indirects).

Les inconvénients du dualisme sont largement exposés. Le « chemin de croix du contribuable » face à « la complexité ubuesque de la répartition des compétences » est dénoncé. Comme l’auteur est honnête, il donne lui-même les éléments qui peuvent relativiser sa thèse.

Le juge administratif traite 95 % du contentieux fiscal qui arrive devant les tribunaux (au total, en 2020 : 12 477 affaires sur 2 673 358 réclamations préalables), ce qui réduit l’ampleur des risques de divergences et explique l’apport limité de la jurisprudence civile. Le risque de « cacophonie jurisprudentielle » est à peu près nul. Les difficultés pour le contribuable de « trouver son juge » sont exceptionnelles : le Tribunal des conflits a rendu deux jugements en matière fiscale en 2020. Les interventions du Conseil constitutionnel (notamment depuis 2008 avec l’ouverture des questions prioritaires de constitutionnalité), de la Cour européenne des droits de l’Homme et de la Cour de justice de l’Union européenne troublent l’ordre dualiste mais le futur juge de l’impôt devrait aussi composer avec eux. De même, la circonstance que le droit fiscal est un droit de superposition qui s’appuie nécessairement sur d’autres branches du droit (par exemple, pour la définition du domicile, de la situation matrimoniale, de la filiation, des règles comptables ou commerciales…) ne sera guère modifiée par la création d’un juge unique.

La deuxième partie tend à démontrer les vertus du monisme et à en préciser le système idéal qui vise à « réconcilier le contribuable, l’impôt et son juge » en « mettant fin à l’ésotérisme fiscal ». Florent Oliver propose l’institution d’un juge de l’impôt unique et spécialisé couvrant l’ensemble du contentieux fiscal : assiette, recouvrement, annulation, pénal. Il en décrit l’organisation en trois niveaux : tribunal fiscal, cour d’appel fiscale et cour de cassation fiscale. Le droit comparé est opportunément appelé au secours de la thèse. En Allemagne, au Canada, en Autriche, en Italie et au Portugal des tribunaux spécialisés ont compétence exclusive pour connaître des litiges fiscaux au niveau des États fédérés ou des régions. Le deuxième niveau de juridiction est assuré le plus souvent par une cour spécialisée au niveau national.

Là encore, l’auteur donne des informations qui pourraient largement nuancer sa thèse. Il présente, puis rejette, des arguments très forts en faveur d’une extension des compétences du juge administratif compte tenu de l’étendue de son actuel domaine d’intervention, des apports de sa jurisprudence, de la spécialisation partielle de ses formations de jugement et de ses magistrats. Par ailleurs, il est difficile de souscrire à l’argument tiré du principe de l’égalité (« assurer au contribuable une égalité de traitement quelle que soit la juridiction saisie, sa qualité ou l’impôt litigieux ») dès lors que sont comparées les situations de contribuables au regard d’impôts dont les règles sont totalement différentes. Il en serait tout autrement si les différents juges étaient conduits à définir des concepts identiques ou pire à apprécier différemment la situation d’un contribuable déterminé. (Ce qui, aurait été le cas si le contentieux des taxes sur le chiffre d’affaires n’avait pas été aligné sur celui des contributions directes.) Il n’y a donc quasiment « aucun risque de divergences jurisprudentielles », aucune « menace de contrariété de jurisprudence » entre les juges administratif et judiciaire en matière fiscale. Comme l’expose l’auteur, les décalages et différences minimes sont progressivement corrigés par le jeu des questions préjudicielles et par la fonction unificatrice des cours suprêmes.

L’objectif très louable de simplification normative se traduit par exemple par les propositions d’un code complet de procédure fiscale ou de la définition, dans le code des impôts, de certaines notions de base qui ne sont actuellement précisées que par la doctrine administrative et la jurisprudence (par exemple, les concepts de revenu, de travaux de construction ou d’agrandissement, de concubinage notoire…). Mais il n’est pas certain que ces évolutions soient liées automatiquement à la création d’un juge unique de l’impôt. Plus généralement, les « vertus démocratiques du monisme simplificateur » sont peut-être un peu exagérées pour les besoins de la cause. La création du juge unique de l’impôt permettra-t-elle de relégitimer le consentement de l’impôt, de renforcer la légalité fiscale, d’assurer le droit au procès équitable ?

On peut penser qu’une clarification des règles en matière de recouvrement et, le cas échéant, quelques attributions législatives de compétence pour certaines accises suffiraient pour simplifier radicalement le contentieux de l’impôt dont le fonctionnement actuel est globalement positif. Ce qui n’enlève rien au mérite d’une thèse originale et courageuse, qui met l’accent sur un aspect un peu négligé du droit fiscal et place le contribuable au centre de sa réflexion, ce qui n’est pas si fréquent.  MLC

Contribution à l’étude de la pénalisation du droit fiscal, Lolita Girondeau, L’Harmattan, 2021, 513 p.

Sous ce titre modeste, la thèse de Madame Girondeau, dirigée par le Professeur Thierry Lambert, présente une étude complète et nuancée de l’influence du droit pénal sur le régime juridique des sanctions fiscales. Elle est fondée sur une analyse fine et dynamique des jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme, du Conseil constitutionnel, des juridictions administratives et civiles en France.

Il en ressort plusieurs leçons importantes. Tout d’abord, la pénalisation du droit des sanctions fiscales se poursuit. Elle est le produit des jurisprudences des différentes juridictions qui, sur la base de textes divers, concourent à des interprétations harmonisées pour l’essentiel. Celles-ci poursuivent un objectif principal tout à fait louable : accroître les garanties des contribuables. Malgré cela, les objectifs particuliers de la répression fiscale justifient une certaine autonomie des sanctions fiscales.

Malgré un sujet technique et pointu, la thèse est particulièrement bien exposée avec un plan clair et une argumentation minutieuse qui n’exclut pas la description des évolutions et la mise en valeur des nuances.

La première partie étudie la caractérisation des sanctions fiscales au regard du droit pénal par la Cour européenne des droits de l’Homme, puis par le Conseil constitutionnel. La Cour européenne a procédé à une extension de la garantie du procès équitable (article 6 § 1 de la convention) aux sanctions fiscales répressives, y compris lorsqu’elles sont prononcées par une autorité administrative. Le critère principal est celui de la « nature punitive » de la sanction par opposition aux dispositions ayant pour objet le régime d’imposition (déchéance d’un régime de faveur pour absence de réunion des conditions prescrites) ou la réparation pécuniaire de l’infraction (intérêts de retard si leur taux n‘est pas manifestement excessif).

Les juridictions internes ont intégré la jurisprudence de la CEDH en se fondant sur des notions très voisines, notamment « la finalité punitive » de la sanction. Les garanties s’imposent dans la phase juridictionnelle de la répression et, exceptionnellement, dans la phase administrative préalable si elle n’est pas suivie d’un contrôle juridictionnel offrant toutes les garanties. Ainsi, le Conseil constitutionnel, saisi par la voie des questions prioritaires de constitutionnalité, se fonde sur les dispositions de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen pour encadre les sanctions fiscales « à finalité punitive », notion qui inclut certaines amendes fiscales et majorations de droits mais exclut différents éléments qui n’ont pas le caractère d’une sanction : les intérêts et majorations de retard, les mesures fiscales dissuasives (doublement de la participation obligatoire à l’effort de construction), les éléments du régime d’imposition (suppression d’un avantage fiscal, sauf s’il est retiré pour manquement ; solidarités fiscales). Les sanctions fiscales soumises à l’influence du droit pénal sont ainsi caractérisées par les juges dont les méthodes sont différentes mais finalement convergentes.

La seconde partie explore le régime juridique « quasi pénal » des sanctions fiscales qui se traduit par l’application aux sanctions fiscales de principes de fonds et de règles de procédure du droit pénal. Cette application est assez souvent limitée en raison des particularités du droit fiscal et, en particulier, la nécessité d’assurer l’efficacité de la lutte contre la fraude. Ainsi l’application souple du principe de légalité des délits et des peines n’interdit pas l’œuvre constructive de la jurisprudence (par exemple sur la notion d’abus de droit) et les renvois à la doctrine administrative. Le principe de nécessité des peines justifie le contrôle des amendes proportionnelles mais n’interdit pas les amendes forfaitaires. Le principe de rétroactivité de la sanction plus douce est relativisé lorsque cela est justifié par l’efficacité de la sanction. Le principe non bis in idem est écarté mais, en cas de cumul de sanctions pénale et fiscale, le Conseil constitutionnel impose la règle du montant maximum de la plus élevée des sanctions encourues et limite les cas de cumul aux affaires les plus graves de dissimulation frauduleuse. La fixation de la sanction est soumise au principe de responsabilité personnelle, appliqué plus strictement aux personnes physiques qu’aux sociétés dans le but de déjouer les montages frauduleux, et au principe de personnalité des peines qui est aménagé en matière fiscale par les mécanismes de solidarité de paiement et de transmission des amendes aux héritiers.

Les règles de procédure pénale s’appliquent aux sanctions fiscales : droit au juge (bien que le recours au juge fiscal n’ait pas un effet suspensif et que le juge fiscal ne dispose pas d’un pouvoir de modulation des majorations) ; présomption d’innocence qui suppose que la charge de la preuve incombe à l’administration, que les présomptions de culpabilités soient relatives et que les jugements définitifs favorables au contribuable s’imposent ; droits de la défense et droit au procès équitable (droit au conseil, motivation, droit de présenter des observations).

L’auteure conclut à une « pénalisation mesurée » des sanctions fiscales qui lui paraît plus opportune qu’une assimilation qui ignorerait les impératifs de la lutte contre la fraude. Elle appelle cependant à la vigilance à l’égard de la répression fiscale, notamment lorsqu’elle est exercée par l’administration plutôt que par le juge. Cette thèse très documentée et très claire révèle les mystères et les beautés du contentieux fiscal avec son autonomie relative, ses multiples juges, sa recherche incessante d’un équilibre fragile entre répression de la fraude et garanties du contribuable, équilibre auquel contribue notamment la jurisprudence sous la discrète impulsion de la doctrine. ■ MLC

La LOLF a 20 ans !, Vincent Dussart (sous la dir.), Institut fédératif de recherche – Université de Toulouse 1 Capitole, Actes de colloques, nov. 2022, 404 p.

Vincent Dussart, avec la collaboration de Valérie Palma et Stéphane Mouton, a réuni les 22 et 23 octobre 2021, une pléiade de juristes pour célébrer les 20 ans de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) – 20 ans depuis le vote, mais 14 ans seulement depuis le début de sa mise en application dans la loi de finances pour 2016 [1] –.

La lecture des communications qui explorent tous les aspects juridiques du sujet montre combien le point de vue de la doctrine a évolué sur la LOLF. Après une longue phase de description des nouvelles dispositions et de mises en perspective peu critiques [2], il semble que le temps soit venu des interrogations, des doutes, des appels à la réforme. L’effet de mode est passé, le contexte n’est plus le même, il est maintenant possible de tirer les leçons de l’expérience. Il est donc naturel que les apports de la LOLF soient aujourd’hui discutés, relativisés et même contestés.

Plusieurs auteurs rappellent que la LOLF a déjà été largement modifiée et complétée : d’une part, par les lois organiques des 12 juillet 2005, 15 avril 2009, 17 décembre 2012, 11 octobre 2013, notamment pour prendre en compte les exigences de l’encadrement européen des budgets nationaux ; d’autre part, pour moderniser les finances sociales (loi organique du 2 août 2005) et les finances locales (loi organique du 29 juillet 2004). En dernier lieu, la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques a effectué un « toilettage » incomplet mais néanmoins significatif de la LOLF (pluriannualité, mission du Haut conseil des finances publiques, fusion des rapports d’orientation, collectif de fin d’année, loi de règlement…).

En regard des grands objectifs initiaux – renforcement des pouvoirs du Parlement et modernisation de la gestion publique – les résultats atteints sont importants mais restent très en deçà des discours des promoteurs de la LOLF. Plusieurs causes sont évoquées qui expliquent ce décalage : la résistance des logiques traditionnelles de gestion, l’absence de volonté des parlementaires, la prudence du Conseil constitutionnel et, enfin, les ambiguïtés ou les lacunes de la LOLF elle-même.

L’énoncé de quelques titres et sous-titres des articles de l’ouvrage en montre la tonalité générale : « L’incarnation inachevée de la LOLF […], remettre la LOLF à sa juste place […], une réforme victime de son ambiguïté […],la LOLF n’est pas l’instrument financier miraculeux […], les objectifs non atteints de la LOLF, […] la désillusion du politique, […] des améliorations contrastées, […] échec ou réussite de la LOLF ?, […] le pari perdu de la responsabilité, […] les carences fiscales de la LOLF, […] la certification, une méthode précurseuse ou un outil surévalué ?[…], des changements bienvenus mais inachevés, […] iIlusions perdues ». Étienne Douat, auteur de la synthèse des débats, reprend « un à un les points majeurs de la LOLF pour en distinguer les aspects positifs et négatifs », attitude rationnelle et scientifique qui tranche avec les commémorations précédentes [3].

Chacune des 25 contributions publiées souligne les apports incontestables de la LOLF mais aussi leurs limites et les évolutions possibles, qui tiennent autant au droit qu’à la gestion et à la culture des acteurs. Après des prolégomènes qui recentrent la vision globale de la LOLF (une réforme importante mais partielle et inachevée), les études rassemblées sous le titre « LOLF, normes et principes » et « LOLF, dette et déficit » reflètent les limites de la révolution juridique annoncée

et les évolutions du contexte européen, économique et budgétaire. La partie consacrée à « LOLF, performance et management public » renforce la conviction qu’il serait impossible de revenir en arrière mais aussi qu’il reste du chemin à parcourir pour moderniser la gestion publique et responsabiliser les manageurs. Le contenu des lois de finances, les contrôles, l’analyse de la loi organique du 28 décembre 2021 font l’objet des mêmes regards sceptiques ou interrogatifs.

En définitive, il se confirme que la LOLF n’est pas tout à fait la « révolution copernicienne » annoncée mais qu’elle constitue un maillon essentiel d’une évolution, progressive et encore en cours, vers une procédure budgétaire et une gestion publique plus rationnelles et plus prospectives, évolutions déterminées à la fois par l’encadrement juridique et par le jeu des acteurs dans un contexte de plus en plus difficile à maîtriser. ■ MLC

[1] V. aussi Les 20 ans de la LOLF, RFFP, mars 2022, p. 158.

[2] À l’exception du n° spécial de la RFAP, Réformes budgétaires et réformes de l’État, n° 117, 2006.

[3] La LOLF, une révolution silencieuse ?, G&FP, n° 7, 2006 ; La LOLF, dix ans de pratiques, G&FP, n° 6, 2016.