Espagne

I. Thème nº 1 : Le cadre et niveau de l’intervention : gouvernance multilevel

1. La nature transversale des compétences environnementales.

La répartition des compétences environnementales en Espagne est fortement décentralisée, les Communautés autonomes (régions) ayant un degré d´autonomie particulièrement élevé dans le modèle constitutionnel espagnol. Selon la Cour constitutionnelle espagnole, la Constitution espagnole (CE) attribue à l´Etat une compétence de nature « transversale », dont la fonction est une action a minima, ce qui permet aux Communautés autonomes d’établir des niveaux de protection plus élevés. La question environnementale étant un élément à considérer dans d’autres politiques publiques sectorielles ayant des incidences sur l’environnement (énergie, transports, eau, déchets), les conflits de compétence entre l´État et les Communautés autonomes sont fréquents. 

S’agissant des municipalités, la CE ne définit pas leurs compétences environnementales, mais celles-ci découlent du principe de l´autonomie des municipalités pour gérer leurs affaires ainsi que du mandat confié à tous les pouvoirs publics de veiller à la défense de l´environnement. Leurs compétences environnementales sont plus clairement définies par le législateur étatique et éventuellement autonome.  

2. Les finances publiques des différents niveaux sont régies par le principe de stabilité budgétaire et financement durable.

La loi organique 2/2012 du 27 avril 2012 de stabilité budgétaire et soutenabilité financière a intégré la viabilité financière comme principe directeur de la performance économique et financière régissant toutes les administrations publiques espagnoles : État, Communautés autonomes, municipalités, entreprises locales et sécurité sociale . Cette loi, visant à renforcer la stabilité budgétaire, non seulement dans une situation conjoncturelle, mais de façon permanente, a été précédée de la nouvelle version de l´article 135.1 CE selon lequel « toutes les administrations publiques seront alignées sur le principe de stabilité budgétaire ».

3. Une complexité de la gouvernance.

Ce partage des compétences environnementales entre les niveaux étatique et infra-étatique est facteur de complexité et pose un défi de coordination, le risque étant de ne pas atteindre les objectifs fixés au niveau étatique. Le problème est, à la fois, juridique, administratif et politique. 

Cette complexité de la gouvernance se constate, par exemple, actuellement, s’agissant de la mise en œuvre duPlan pour la reprise, la transformation et la résilience(PRTR) censé, entre autres, financer la transition écologique (sur les 70 milliards d’euros devant être déployés sur la période 2021-2023, 40 % devraient être consacrés à la transformation verte). Tandis que le plan est national, ce sont les administrations territoriales, principalement les Communautés autonomes qui doivent exécuter les ressources. Le décret-loi royal 36/2020 met en place une gouvernance visant à faciliter la prise de décision et garantir un contrôle et un audit efficaces des fonds. À cette fin, ont été créés une Commission pour le redressement, la transformation et la résilience (orientation et coordination du Plan), un Comité technique (maximum de 20 membres ayant des compétences et de l’expérience dans la gestion des fonds européens et autres profils nécessaires à la gestion du plan), une Unité de suivi et une Autorité de contrôle. Des conférences sectorielles entre l’exécutif national et les Communautés autonomes se sont également succédé. Toutefois, les Communautés autonomes ne veulent pas seulement exécuter, mais pouvoir également choisir les projets sélectionnés dans la mise en œuvre du plan (notamment les PERTE, cf. point 6).  

Cette complexité de la gouvernance se constate également, autre exemple parlant, en matière de fiscalité environnementale. La diversité des impositions existant d’une Communauté autonome à une autre est, en effet, de nature à mettre en péril la réalisation sur l’ensemble du territoire espagnol des objectifs environnementaux fixés au niveau national. Les choses sont en train de changer cependant, avec la mise en place prochaine d’impôts environnementaux au niveau national (cf. point 5).

4. Répartition des compétences au sein de l’exécutif national.

C’est le ministère de finances qui est compétent, depuis 10 juillet 2021, en matière de « gouvernance publique » en Espagne, tandis que le ministère pour la transition écologique et le défi démocratique, crée en 2018, est compétent pour proposer et exécuter la politique gouvernementale en matière de climat, énergie et environnement pour la transition vers un modèle productif et social plus écologique.

II. Thème nº 2 : Le type d´instruments d´intervention retenus

Des instruments financiers et des instruments hybrides – à la fois financiers et non financiers – sont utilisés.

5. La fiscalité.S’agissant des instruments financiers, le levier fiscal est utilisé notamment. Des impositions environnementales existent actuellement surtout au niveau des Communautés autonomes (par exemple, des impôts sur les installations portant atteinte à l’environnement ou sur les déchets). En lien avec la loi 7/2021 sur le changement climatique et la transition énergétique adoptée le 20 mai et avec la réglementation européenne, le projet de loi sur les déchets et les sols contaminés prévoit la création d’un impôt national sur les emballages plastiques à usage unique et d’un impôt national sur les déchets. C’est un facteur de convergence européenne, l’Union européenne ayant comme nouvelle ressource propre la « contribution plastique ». En outre, une commission d´experts travaille actuellement, au niveau national, à la proposition d’une réforme fiscale qui devra inclure la question de l’opportunité d’une réforme fiscale verte pour l´Espagne.

6. Le Plan pour la reprise, la transformation et la résilience (PRTR).

Le plan de reprise espagnol censé, entre autres objectifs (comme indiqué ci-dessus), financer la transition écologique et dont les fonds proviennent notamment de Next Generation EU,est un instrument à la fois financier et non financier, dans la mesure où il vise à injecter de l’argent dans l’économie en même temps qu’à provoquer la mise en place de projets impliquant également le secteur privé.

Le PRTR a été validé par la Commission européenne le 16 juin 2021 et le Conseil de l’Union européenne a donné son feu vert aux premiers décaissements en faveur de la reprise en juillet 2021. De nouveaux décaissements devraient intervenir très prochainement, la Commission européenne venant de valider les « Dispositions Opérationnelles » du plan espagnol.  Les mesures approuvées dans le cadre des plans de reprise nationaux s’articulent autour des six domaines d’action (« piliers ») définis dans le règlement européen établissant la facilité pour la reprise et la résilience (pièce maîtresse de Next Generation EU). Il s’agit notamment de la transition écologique et numérique, d’une croissance intelligente, durable et inclusive ainsi que de la cohésion sociale et territoriale. L’Espagne est le premier pays européen à avoir conclu avec succès les négociations avec la Commission européenne pour le suivi du développement de son plan de reprise.

Le projet de la loi de finances de l’Etat espagnol pour 2022 intègre, au titre du plan pour la reprise, la transformation et la résilience, 27.633 millions d’euros de fonds européens. Presque 90% de ces ressources seront allouées à des investissements, notamment dans l’industrie, l’énergie, la recherche, le développement et l’innovation ainsi que les infrastructures. Le fait que le projet de budget pour 2022 comprenne les dépenses sociales les plus élevées et les investissements les plus importants de l’histoire sera compatible avec la réduction du déficit, qui devrait s’établir à 5 % du PIB à la fin de l’année prochaine, ce qui signifie le réduire de plus de la moitié par rapport aux 11 % enregistrés en 2020, en raison de la récession économique et des mesures qui ont été adoptées pour atténuer la conséquences économiques et sociales de la pandémie. La loi de finance devrait être adoptée grâce au soutien de la Catalogne. Les Communautés autonomes recevront un transfert de 8.712 millions d’euros de fonds européens. Les administrations locales recevront, elles, 2.050 millions de fonds européens.

Un des outils d’exécution les plus importants du plan de reprise espagnol est les PERTE (« Proyectos Estratégicos para la Recuperación y Transformación Económica »).Il s’agitde projets stratégiques avec une forte part de collaboration public-privé et transversaux aux différentes administrations. C’est une figure nouvelle, avec une vocation de permanence, conçue comme un mécanisme de promotion et de coordination de projets hautement prioritaires, particulièrement complexes ou dans lesquels il existe une défaillance manifeste du marché, des externalités importantes ou une capacité d’initiative ou d’investissement insuffisante de la part du secteur privé. L´objectif est de contribuer à une gestion agile et efficace des fonds et de renforcer les projets qui contribuent clairement à la transformation de l’économie espagnole. La taille et le nombre d’acteurs potentiellement impliqués dans les PERTE exigent de définir une gouvernance unique qui permette aux différents acteurs de participer à la prise de décision avec la transparence et la responsabilité requises par le secteur public. De même, toutes les entités intéressées doivent souscrire à une série de normes communes pour leur accréditation dans le nouveau registre d’État des entités intéressées par les PERTE (approuvés par le Conseil des ministres sur la base de critères objectifs et transparents). Quelques projets ont été annoncés. Un projet seulement a été validé, pour l’instant : PERTE Véhicule électrique et connecté approuvé le 13 juillet 2021, avec un investissement total de 24.000 millions euros pour la période 2021-2023 . L´Espagne est le deuxième fabricant d´automobiles au niveau européen et le neuvième au niveau mondial. Plus de 80% des véhicules fabriqués en Espagne en 2019 ont été exportés. C’est le quatrième secteur d’exportation après les biens d’équipement, l’alimentation et la chimie, représentant 14,8% du total des exportations espagnoles, avec un effet moteur sur d’autres industries telles que le raffinage, l’acier et les biens d’équipement. La gouvernance mise en place, pour ce projet, repose sur un groupe de travail et une « Alliance pour le véhicule électrique et connecté » présidée par le ministre de l’industrie, avec la participation des principales associations et des Communautés Autonomes. Les fonds européens semblent bien employés dans ce projet PERTE Véhicule électrique et connecté.

7. La loi 7/2021 sur le changement climatique et la transition énergétique.

La loi Climat espagnole, adoptée le 20 mai 2021, est a priori un instrument non financier. Elle a quatre objectifs : réduire, d’ici 2030, les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 23 % par rapport aux émissions de l’année 1990, atteindre, en 2030, une pénétration des énergies renouvelables d’au moins 42% dans la commission finale d’énergie, atteindre, en 2030, un système électrique généré, pour une part de 74% au minimum, à partir d’énergie renouvelables et améliorer l’efficacité énergétique. Elle prévoit toutefois, dans le domaine financier, qu’un pourcentage minimal du budget général de l’État, équivalent à celui convenu dans le cadre financier pluriannuel de l’Union européenne, doit avoir un impact positif sur la lutte contre le changement climatique, pourcentage que le gouvernement devra réviser à la hausse avant 2025. La loi définit également l’utilisation des recettes provenant des ventes de quotas d’émission de gaz à effet de serre et prévoit que l’application de nouveaux avantages fiscaux aux produits énergétiques d’origine fossile doit être dûment justifiée par des raisons d’intérêt social ou économique ou par l’absence d’alternatives technologiques. En matière de gouvernance, le Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) est l´instrument de planification pour promouvoir une action coordonnée afin de faire face au changement climatique avec des indicateurs d´impact et de reports de risque.

III. Conclusions

Il n’existe pas, pour l’instant, en Espagne un « budget vert » comme en France ou dans d´autres pays. Mais, les choses sont en train de changer avec la loi Climat espagnole, laquelle représente une avancée notable dans le domaine des finances publiques vertes, ainsi qu’avec la mise en œuvre duPlan pour la reprise, la transformation et la résilience (PRTR). Ce dernier représente une vraie opportunité pour financer la transition écologique, l’Espagne devant recevoir 140 milliards d’euros de l’Union européenne, au titre de Next Generation EU.

Tout dépendra de l’effectivité du contrôle et du suivi exercé sur les mesures mises en place et sur les fonds alloués, de la capacité à coordonner les niveaux étatique et infra-étatique et de la sécurité juridique assurée. Cela dépendra également, dans une certaine mesure, de la réforme de la fiscalité environnementale.     

Marta Villar et Amandine Blandin