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BIBLIOGRAPHIE – REVUE-GFP N°5 – 2020

Nous avons lu pour vous
La justice fiscale (Xe-XXe siècle), sous la direction  d’Emmanuel de Croy-Chanel, Cédric Gélineur et Céline Husson-Rochcongar, Éditions Bruylant, 2020, 457 p. 

Cette étude de la conception et de la mise en œuvre de la justice fis-cale à travers les siècles a mobilisé une vingtaine de savants contributeurs qui avaient échangé lors d’un colloque international à Amiens en avril 2019. Le lecteur ne doit pas s’attendre à une dé-finition simple et claire de la notion de justice fiscale qualifiée successivement d’indéfinissable, de polysémique, de protéiforme, de subjective, de relative, de contingente, de volatile, d’instable, d’évanescente, d’impensée, de mythique ou d’idéale… et largement délaissée par les juristes dont la plupart se limitent à une conception positiviste du droit fiscal. Quand elle est abordée, la notion de justice fiscale est le plus souvent confondue avec celles d’égalité et d’universalité rattachées à l’article 13 de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Elle s’exprime plus volontiers en termes formels que substantiels. Elle se traduit alors en termes de procédures (principe de légalité, consentement à l’impôt, garanties du contribuable), de conceptions sociales de l’impôt (impôt-échange et impôt-solidarité) ou de technique fiscale (impôt réel et impôt personnel, taux proportionnel et progressivité, impôt unique et impôts spécifiques). Cette notion, mal définie, est cependant centrale. On la rencontre sans cesse dans l’histoire. Plusieurs contributions en témoignent : les exemptions d’impôt des officiers locaux au Moyen-Âge, la nostalgie des privilèges et exemptions dans les pamphlets des mazarinades, les exemptions à la taille dans l’Ancien régime, les adaptations à l’imposition du vingtième dans le Poitou du XVIIIe siècle, l’éphémère « révolution fiscale » en Belgique après 1914, la fraude et l’évasion fiscale en Europe dans l’entre deux guerres, l’impôt de solidarité nationale en 1945. Les contradictions de l’époque contemporaines sont illustrées par des études sur l’impôt et la relation conjugale, la concurrence des législations en matière de surendettement, le mythe de la transparence administrative en France depuis 1970, les causes de l’incivisme fiscal chez les commerçants du marché de Ziguinchor en Casamance. Des articles explorent les bases théoriques des diverses conceptions de la justice fiscale chez les physiocrates, chez Proudhon, dans la doctrine universitaire et organique. Pour la prospective, on retiendra la tentative d’Emmanuel de Crouy-Channel de compléter la conception d’une justice fiscale descendante et collective axée sur l’égale répartition des charges publiques par une conception de la justice fiscale plus individuelle et ascendante fondée sur l’acceptation de la contribution personnelle, l’appel de Michel Bouvier pour la recherche d’une nouvelle légitimité de l’impôt dans une société mondialisée et numérisée en pleine mutation et les réflexions de Céline Husson-Rochcongar et Audrey Rosa pour un effort de rapprochement des conceptions de la justice fiscale et de la justice sociale qui suppose une plus grande ouverture de la démarche juridique aux sciences voisines. Une confrontation plus complète des juristes avec les points de vue d’économistes, de sociologues, voire d’anthropologues et de psychologues seraient en effet bien nécessaire pour avancer dans cette salutaire réflexion sur les fondements de l’impôt. ■

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Fiches de Finances sociales, Messaoud Saoudi, Ellipses, 2020, 205 p.

Sous un titre modeste, l’auteur nous offre un véritable cours de finances sociales couvrant l’ensemble du sujet dont les enjeux sont devenus l’un des axes essentiels des finances publiques : des dépenses de protection sociale d’environ 715 Md€ (contre 400 Md€ pour l’État), soit 32 % du PIB. Cinq fiches sur les enjeux, les concepts et les sources juridiques qui permettent de mesurer l’importance des finances sociales, de maîtriser les distinctions entre protection sociale, finances sociales et finances de la sécurité sociale. Sept fiches sur les lois de financement de la sécurité sociale, de leur élaboration à leur contrôle avec une fiche bien venue sur le contrôle de constitutionnalité et une sur « les LFSS, les autres lois financières et les budgets publics ». Quatre fiches sur les ressources (dont une sur les impôts et taxes affectées, les ITAF). Six fiches sur les dépenses analysées par risques. Quatre fiches sur le recouvrement, la trésorerie et la dette. Une bibliographie sommaire, un index complet, des exercices corrigés complètent l’aspect pédagogique de l’ouvrage. Les réflexions prospectives ne sont pas absentes (création du cinquième risque, revenu universel d’activité) même si on aurait aimé qu’elles soient plus développées.■

Comprendre les finances locales, Lise Grémont, L’Harmattan 2019,181 p.

Le sous-titre de l’ouvrage résume sa finalité : « Petit précis pour les non financiers ». Il est en effet destiné au citoyen plus qu’au technicien. Ses développements sont brefs et parfois sommaires. Mais ils sont toujours très précis : les définitions, les distinctions de base, les sources juridiques et leurs références sont justes et complètes. Le reste ressemble plutôt à une table des matières, mais celle d’un ouvrage très complet qui couvrirait à parts égales : les enjeux et la stratégie ; le budget et ses différentes étapes ; l’analyse et la stratégie financière. Il n’est pas certain que l’ouvrage soit suffisant pour comprendre les finances locales mais l’essentiel y est, et bien exposé. Selon les lecteurs, il pourra servir utilement d’introduction simple et accessible à un domaine ô combien complexe ou de révision d’une législation touffue et changeante.■

Fraude ou évasion fiscale, le scandale?, Alain Bot, Les éditions du Panthéon, 2020, 384 p.

Le conseiller fiscal est un des acteurs essentiel de l’application du système fiscal mais c’est aussi l’un des plus discrets. Alain Bot, qui a exercé cette profession pendant près de quarante ans, livre avec sincérité ses souvenirs et ses analyses. Il développe d’abord une fresque historique assez conventionnelle de la fiscalité (la fiscalité du XIXe siècle lui paraissant « réaliste et stabilisée » alors qu’elle était notoirement archaïque et insuffisante) et une conception des rap-ports avec le fisc basée sur des clichés assez répandus dans les milieux d’affaires : législation d’inspiration marxiste et socialiste, bêtise des technocrates et des politiques, acharnement idéologique contre les riches, exode fiscal sous estimé , avantages indus aux mutuelles et aux coopératives, références récurrentes à la formule magique « trop d’impôt, tue l’impôt », condamnation des impôts sur le capital. L’ intérêt de l’ouvrage réside dans la grande quantité d’informations sur les diverses formes d’évitement fiscal. L’auteur insiste sur le caractère légal de l’évasion, décrit la « petite fraude » domestique et se concentre sur la grande fraude internationale. Il livre ainsi des témoignages sur les bonnes relations avec les vérificateurs, les combines du secteur de la récupération des métaux, l’introduction en bourse des entreprises familiales pour contourner les droits de succession, la dissimulation du chiffre d’affaires des brasseries parisiennes. Il rappelle aussi les pratiques des banques d’affaires UBS et HSBC, les paradis fiscaux, la spéculation sur les marchés financiers, les transferts de bénéfices des multinationales, la grande criminalité financière internationale. Ses propositions sont sommaires et parfois originales : suppression des niches fiscales ; très forte baisse des droits de succession ; réduction brutale de l’impôt sur les sociétés au taux de 15 % ; renforcement de la taxation des activités numériques ; augmentation de la TVA sur la publicité (50 % non déductible) ; renforcement de la taxe foncière ,qui pourrait devenir progressive, à la place de l’IFI ; taxe sur les transactions financières et, recommandation plus générale, il faut « sortir de la prolifération incohérente de la règlementation fiscale », ce qui sonnerait le glas de la profession des conseillers fiscaux !■