Nous avons lu pour vous
Revue Pouvoirs, n°168, «Bercy», Le Seuil, 2019, 188 p.
Le ministère des finances n’a-t-il pas changé depuis de numéro que la revue Pouvoirs lui a consacré en 1990 ? Ou le regard que lui portent les universitaires et les politiques a-t-il si peu évolué ? Le numéro 168 de la revue intitulé sobrement « Bercy » reprend tous les clichés traditionnels. D’un côté, la puissance : empire, forteresse, bastille, ministère dominateur, vrai « premier ministère », mur, « œil de Bercy »,entre-soi, verrou de l’information, puissants directeurs régionaux des finances publiques…. De l’autre côté le morcellement : constellation de principautés (Philippe Bezes, Florence Descamps, Scott Viallet-Thévenin), chapelles, galaxie de directions et services, dispersion du pouvoir de décision au sein de Bercy… Avec en correctif, la reconnaissance de la qualité exceptionnelle de l’administration, notamment celle du budget, et la réussite du prélèvement à la source (Raphael Legendre)…Cependant, le ministère serait affaibli, la Bastille assiégée . Quelques facteurs de cet infléchissement sont traités très inégalement : la perte du contrôle de la politique monétaire, l’insuffisance du pilotage de l’ensemble des finances publiques (Alain Lambert), l’instabilité ministérielle ( Alexandre Siné), la volonté de ministres politiques (Alain Lambert), la mise en œuvre de la LOLF (Stéphanie Damarey), les rigidités de la gestion du personnel et les corporatismes ( analysées dans un article très argumenté de Marcel Pochard), les assauts des lobbies (Michel Sapin),les velléités du Parlement de disposer d’une agence autonome d’expertise et d’évaluation (Amélie de Montchanin).Existe-t-il un modèle idéal de ministère des finances ? L’article de Renaud Bourget sur Gaston Jèze invite à le définir comme le « ministère de l’équilibre financier » doté des moyens nécessaires pour le garantir. En France, nous avons les moyens sans le résultat ! Mais est-ce la faute de « Bercy » ? ■
Les auteurs nous invitent à revisiter l’histoire récente de la réforme administrative dans le cadre d’une grille de lecture rigoureuse et originale. L’objectif est d e mettre en évidence les traces du New Public Management (NPM) dans l’administration française. Les auteurs estiment, dans le prolongement des réflexions de Geert Bouckaert, que le NPM n’a pas constitué un modèle unique mais a été adapté au contexte de chaque pays : « Même si le NPM n’a pas été appliqué à la lettre-ce qui est une bonne chose-il a contribué à modifier l’état d’esprit de nombreux décideurs publics ». La liaison entre les points de vue de la science administrative et des finances publiques se traduit par la prise en compte des programmes de réforme administrative, notamment la révision générale des politiques publiques, mais aussi de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), du décret du 7 novembre 2012, de l’évolution des dépenses publiques, des dispositifs de programmation et de maîtrise des dépenses, de la réforme des marchés publics qui sont évidemment des éléments essentiels du cadre de la gestion publique. Celle-ci est analysée distinctement par catégories d’administrations publiques au sens du système européen de comptabilité : L’Etat, les organismes d’administrations centrales (les agences étudiées par grands secteurs), les autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes, les administrations publiques locales, les administrations de sécurité sociale. Si la France est l’objet principal de l’étude, chaque chapitre comporte un regard sur l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le RoyaumeUni. Tous ces pays ont adopté la plupart des techniques du NMP avec des variations de contenu et de rythme dues aux contextes institutionnels (fédéralisme, fonctionnement de la démocratie) et budgétaires. L’Allemagne apparaît comme le pays le plus réticent et le Royaume-Uni le pays plus zélé pour la mise en oeuvre des théories néo-libérales. Enfin, et c’est le plus important, les marqueurs du NMP sélectionnés par les auteurs sont la recherche de la performance, la responsabilisation et l’externalisation, orientations manifestées par les textes législatifs et règlementaires et par différents dispositifs (par exemple les contrats et conventions d’objectifs). Ils en concluent que le NPM a effectivement apporté sa marque sur l’ensemble des niveaux d’administration. Cet héritage est estimé positif avec une réserve : la tendance à tout vouloir quantifier, le « fétichisme des chiffres ». Ils ajoutent une réflexion prospective sur la révolution numérique et une ouverture sur les voies que devraient emprunter le management des administrations publiques par une avancée vers un « capitalisme responsable » et un dépassement des frontières entre les sphères publiques et privées. ■
L’ouvrage de Jean-François Boudet nous informe de manière approfondie sur l’organisation et les fonctions du système européen de comptabilité, actuellement SEC 2010. Destiné initialement à rendre possible des comparaisons macro-économiques entre Etats membres, il va devenir progressivement l’un des instrument privilégié de l’encadrement budgétaire et financier de la politique des Etats dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance. En effet, ce système, complété par les normes comptables européennes pour le secteur public ou EPSAS, est strictement obligatoire en vertu du Règlement du Parlement et du Conseil n°549/2013 du 21 mai 2013. Le livre décrit avec précision l’organisation et les missions d’Eurostat qui est une direction générale de la Commission dont l’indépendance est garantie et qui exerce un double rôle : développer, produire et diffuser des statistiques européennes, d’une part, et coordonner les activités statistiques au niveau de l’Union et des institutions communautaires d’autre part. L’INSEE est en France le seul « point de contact » d’Eurostat et coordonne des 12 services statistiques des ministères. Le compte des administrations publiques en comptabilité nationale est établi en France par la DGFiP sous le contrôle de l’INSEE et d’Eurostat. La notion-clé du système est celle d’administrations publiques (APU) qui est visée deux fois par la Constitution (articles 34 sur les lois de programmation des finances publiques et 47-2 sur la sincérité comptable) .Le décret du 9 mars 2012 sur la gestion budgétaire et comptable publique revoit expressément à la définition du SEC pour délimiter son champ d’application. Cette notion est centrale pour déterminer les agrégats dont dépend le déclenchement de la procédure pour déficit excessif ainsi que le revenu national brut qui sert à calculer une part importante des contributions des Etats-membres au budget européen. Elle n’est pas simple et combine deux séries de critères. L’organisme doit avoir une activité principale relevant de la catégorie des productions non marchandes et il doit être contrôlé par une administration publique. Le fonctionnement du système est illustré par le rappel des diverses affaires ou controverses : la prise en compte du placement de la soulte de France Télécom en 1997; le doublement de la prévision du déficit budgétaire de la Grèce à l’automne 2009 ; le classement de la dette de réseau ferré de France, considérée hors APU en 1997 puis entré à partir de 2016; les incidences de la création du CICE; la comptabilisation de l’activité hospitalière (dans les APU en Allemagne, en dehors en France) ou de la recapitalisation d’Orano, ex Areva , considéré comme une aide d’Etat par Eurostat alors que l’INSEE l’ avait classé comme une opération financière sans impact sur le déficit. Ces difficultés montrent que derrière les aspects techniques du SEC se profilent des enjeux politiques, économiques et de société. L’administration publique est donc soumise au « régime SEC », qualifié « d’atteinte manifeste à la souveraineté statistique des Etats membres ». Pour l’auteur, le SEC est un outil au service d’une vision de la coordination européenne très centrée sur une rationalité marchande à connotation fortement néo-libérale plus que sur le juridique ou la préservation de l’environnement. ■